Histoire du château de Coucy / Saint-Just[chanoine Jean Jovet]

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e château de Coucy est bâti à l’extrémité de la ville, au couchant. Ses murailles se joignent en dehors à celles de la ville, mais en dedans pour aller de la ville au château, il y avait autrefois une grosse muraille fort élevée, de pierre dure, dont il reste encore plusieurs vestiges, qui en faisait la séparation. Au milieu de cette muraille était la première porte d’entrée qui conduisait dans une cour spacieuse, au fond de laquelle on trouve à main droite le château. C’est un carré irrégulier, fortifié à chacun de ses angles d’une très belle tour. L’entrée en est entièrement ruinée. C’était un pont sur cinq piliers, qui soutenaient un pareil nombre de portes par lesquelles il fallait passer avant que d’arriver au château. Entre les deux tours d’entrée à main gauche est bâtie cette fameuse tour qui n’a point d’égale, ni pour sa hauteur, qui est de cent soixante-douze pieds, ni pour la circonférence qui en a trois cent cinq. Cette tour est sans communication avec le château et on n’y entrait que par un pont-levis. Pour la garantir contre toute attaque on avait élevé tout autour une forte muraille de dix-huit pieds d’épaisseur et de pierre dure; c’est ce qu’on appelait la chemise de la Tour. Mais le cardinal Mazarin, après le siège de l’an 1652, la fit sauter.

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ous les ingénieurs conviennent qu’avant l’usage de la poudre, cette tour était absolument imprenable. Rien de remarquable dans les appartements de ce château, qu’une grande salle à quatre cheminées, que les premiers ducs d’Orléans avaient ornée de différents morceaux d’architecture. Il reste quelques souterrains aussi beaux que s’ils venaient d’être construits. L’on prétend qu’il y en avait autrefois qui s’étendaient à plus d’une demi-lieue dans la campagne, mais l’entrée en est perdue. Le bailliage est de toute antiquité, il n’est pas possible d’en dire au juste l’érection. La terre de Coucy nous est connue dès le règne même de Clovis Ier, après le baptême de ce prince, c’est-à-dire dès le commencement du VIe siècle au plus tard. Les habitants de ce lieu, c’est-à-dire le village car la ville ou le château ne subsistaient pas encore, chargés de taxes et de subsides, eurent recours à saint Remy, archevêque de Reims, et prièrent ce prélat de demander au roi, pour lui et pour son église, le transport de tous les droits qu’ils étaient obligés de payer au domaine. Ils espéraient par ce moyen voir diminuer leurs contributions; et comme l’évêque obtint cette grâce du roi avec le consentement des principaux seigneurs de la nation, il y a lieu de croire qu’ils ne furent point trompés dans leur attente. Ce fut aussi, selon toutes les apparences, pour cette raison que saint Remy, qui ne garda presque rien de toutes les terres que Clovis lui avait données, et qui en faisait des libéralités à d’autres églises, retint cependant pour lui celle de Coucy. C’est presque tout ce que l’antiquité nous apprend de ce lieu. On sait de plus que Coucy faisait alors partie de la terre de Mège, terre dont il ne reste aujourd’hui aucune connaissance; que saint Remy eut la possession de l’une et de l’autre jusqu’à sa mort; et que par son testament il les légua à son église.Au commencement du Xe siècle, Hervé, archevêque deReims, fit bâtir une forteresse à Coucy. Les factions qui divisaient le royaume au-dedans et les courses des barbares qui le désolaient au-dehors, rendaient alors cette précaution nécessaire. Dans ces temps de trouble et d’agitation, les seigneurs particuliers se fortifiaient presque tous dans leurs terres, soit pour se rendre plus redoutables à leurs voisins, soit aussi pour se mettre à l’abri de leurs insultes. Cette forteresse fut construite sur une montagne voisine au midi du village, et elle paraît avoir donné naissance à la ville. Après la mort de Séulfe, successeur d’Hervé, qui arriva en 925, Herbert II, comte de Vermandois, obtint du roi Raoul et du pape Jean X l’archevêché de Reims pour un de ses fils, nommé Hugues, âgé de près de cinq ans; et comme le bas âge de ce jeune prince ne lui permettait pas de prendre soin par lui-même du spirituel et du temporel de son église, le comte, son père, eut l’administration de tous ses revenus et le château de Coucy tomba ainsi entre ses mains. Cependant, Roger, comte de Laon, mourut et laissa un fils nommé  Roger comme lui. Herbert jeta les yeux sur ce comté vacant et le demanda pour un autre de ses fils nommé Eudes. Mais le roi en favorisa le jeune Roger. Iln’en fallait guère davantage au comte de Vermandois pour se soulever contre son prince: il leva l’étendard et prit des mesures pour s’emparer de la ville de Laon; mais il fut prévenu par le roi qui, ayant mis des gens de guerre dans la place pour la garder, la visita lui-même, et en laissa la défense à Roger et à ses frères. Ceux-ci, pour se venger du comte Herbert, firent une sortie en 927et ravagèrent tous les lieux voisins de Coucy. Il ne paraît pas qu’ils aient fait aucune tentative pour se rendre maîtres de la place. Trois ans après, elle appartenait encore au comte Herbert qui en donna la garde à un nommé Anseau,vassal de Boson, frère du roi Eudes, en récompense du château de Vitry en Pertois, que cet Anseau avait remis entre ses mains.

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uelque temps après, en 934, Herbert étant mort et le roi Louis d’Outremer ayant amené à Laon le jeune Richard, duc de Normandie, Osmond, gouverneur de ce prince, trouva moyen de le tirer de cette prison en le cachant dans une botte de foin, et l’emporta jusqu’au château de Coucy qui venait de passer en la puissance de Bernard, comte de Senlis, oncle maternel du jeune prisonnier, et cousin issu de germain de l’archevêque Hugues. Ainsi l’église de Reims se voyait insensiblement dépouiller de cette partie de son domaine; et, quelques efforts qu’elle ait faits depuis pour y rentrer, elle s’est vue à la fin contrainte de succomber à la force et de renoncer à un bien qu’elle avait possédé jusque-là à si juste titre. On ne sait pas si Bernard fut maître de Coucy jusqu’à sa mort. Quoiqu’il en soit, Hugues le Grand, comte de Paris, et Thibaut, comte de Tours et de Chartres, y commandèrent après lui, et y partagèrent ensemble leur autorité. Ils appartenaient tous deux de fort près à Hugues de Vermandois, à qui Artaud, moine de Saint-Remy, disputait alors l’archevêché de Reims: le premier était son cousin germain, et le second son beau-frère. Mais comme ces deux princes soutenaient les intérêts de leur parent contre Artaud, Louis d’Outremer, qui les avait pour ennemis, assiégea Reims qu’il emporta, et ayant rétabli Artaud sur son siège, il contraignit, en 949, Hugues et Thibaut de remettre le château de Coucy entre les mains de cet évêque. Eudes, fils du comte de Thibaut, ne laissa pas à ses descendants laseigneurie de Coucy; divers chevaliers l’ont tenue après lui, jusque sur la fin du règne de Henri Ier. Mais on ne sait pas de quelle maison ils étaient.

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e fut sous l’un de ces seigneurs inconnus qu’aussitôt après la mort du roi Robert, ceux de Coucy se révoltèrent contre Henri Ier, leur légitime souverain, par les intrigues de la reine Constance en faveur de Robert, frère du roi, que sa mère voulait élever sur le trône, au préjudice de Henri. Enfin, sur la fin du règne de ce même Henri, on trouve un Albéric, seigneur de Coucy, en 1059, et cet Albéric paraît être la tige de lapremière race des seigneurs de cette ville. Albéric est connu par une charte del’an 1059 par laquelle il paraît que son dessein était de former un monastère àNogent, au bas de la montagne de Coucy. Il s’était adressé pour ce sujet àElinand, évêque de Laon, avec Adèle son épouse, Mathilde sa mère, Tiezzonchâtelain de Coucy, et quelques autres seigneurs ou chevaliers de sa suite quiavaient du bien à Nogent, et qui le consacrèrent tous à ce dessein. Albéric yajouta du sien et fit donation de tous ses droits et de tout ce qu’il possédaitau village de Landricourt. Enfin, l’évêque de Laon confirmant cette donationexempta l’église de Nogent de toute redevance envers lui et ses successeurs, eten fit ce que l’on appelait alors une église libre, privilège que le roi Henriconfirma la même année par le même acte. L’abbaye de Nogent ne fut entièrementsur pied que plusieurs années après la sanglante bataille de Cassel entrePhilippe Ier, Robert le Frison, comte de Flandre, et Richilde, comtesse deHainaut, [qui] se donna au mois de février 1072. Si Albéric ne s’y trouva pasen personne, on sait du moins qu’en cette action, ceux de Coucy faisaientpartie de l’armée de Philippe Ier, et ce ne fut encore que quelques annéesaprès cette bataille, c’est-à-dire vers l’an 1076, que la fondation de Nogentfut conduite en sa perfection. Cette abbaye fut bâtie à un quart de lieue et aumidi de la ville, sur la rive droite de la petite rivière d’Ailette et dans unfond où l’on découvrit une quantité prodigieuse de cercueils remplis d’ossementset disposés de manière qu’un de ces cercueils faisait centre de plusieursautres qui se trouvaient rangés autour en forme de cercle sans que l’on putdistinguer, à aucune marque certaine, si c’était un cimetière de chrétiens oud’idolâtres. On tira pour remplir l’abbaye de Nogent six religieux de celle deSaint-Remy de Reims et Henri qui, outre cette dernière abbaye, possédait encorecelle d’Homblières les assista aussi de son côté. Enguerrand paraît avoir étéle petit-fils d’Albéric, fondateur de l’abbaye de Nogent. Son père s’appelaitDreux de Boves ou de Coucy, car les historiens lui donnent également ces deuxnoms. Celui de Coucy lui appartenait de droit et par sa naissance, et celui deBoves, qui est un ancien château assez proche de la ville d’Amiens, peut-êtrepar la même raison, peut-être aussi du chef de sa femme qui pouvait lui avoirapporté cette terre en mariage. Quoi qu’il en soit, Boves était alors une placetrès forte, et presque imprenable, et tenait encore rang du temps de saintLouis parmi les plus grandes baronnies du royaume. Dreux, de sa femme, dont onignore le nom, mais qui pourrait avoir été du sang des comtes d’Amiens, a euquatre enfants: Enguerrand, Robert, Anseau et Mathilde qui n’est guère connueque par son nom. Enguerrand fut l’aîné de tous. Sa mémoire est devenue célèbredans l’histoire et sa postérité s’éleva par sa noblesse et par sa puissance àun si haut point de splendeur que non seulement elle ne vit guère au-dessusd’elle que la seule famille royale, ce qui était commun à bien d’autres maisonsen France, mais qu’elle eut même des prétentions sur la couronne d’Autriche etqu’elle pensa se voir assise sur le trône même de ses rois. Robert fut letroisième de ce nom, seigneur de Péronne du chef d’Adélaïde sa femme, fille de Robert%Ier. Il fut aussi seigneur de Capy, sur la Somme, et mourut le 5 août entre1106 et 1109. Anseau embrassa d’abord l’état ecclésiastique, mais il fut aussimarié et eut un fils nommé Robert de Cais, du nom d’une terre qui appartenait àsa famille, et que son père Anseau, conjointement avec Robert son oncle etMathilde sa tante, donnèrent au monastère de Lyons. Robert de Cais vivaitencore en 1138. Dreux, père de ces quatre enfants, et aïeul de Robert de Cais,fut d’abord appelé de Parpes, du nom d’une terre qui lui appartenait sans douteet qui est peut-être le village de Parpes, en Thiérache. C’est sous ce nomqu’il est connu dans l’histoire, lorsque Gautier III, comte d’Amiens, quis’était emparé à la faveur du roi Robert de la vicomté de Corbie, lui entransporta le titre et la jouissance. Vers le même temps, Enguerrand transigeaavec l’abbé et les religieux de Corbie touchant l’avouerie et la vicomté de cemonastère. L’acte de cette transaction est du 23 février 1079, c’est-à-dire1080, et Enguerrand n’y est encore appelé qu’Enguerrand de Boves. Dans la suiteon le trouva quelquefois appelé du nom de La Fère, seigneurie dont il jouissaitapparemment du chef de sa femme; mais il prit plus communément le surnom deCoucy ou le titre de comte d’Amiens. Outre les grands fonds de terre qu’ilpossédait, l’alliance qu’il avait contracté dans la maison de Roucy avec Ade,fille de Letard de Roucy, héritière de Marle et, selon toutes les apparences,de La Fère, éleva sa maison jusqu’à l’honneur de toucher de fort près à cellede Baudouin de Bourg, roi de Jérusalem. Il eut de ce mariage, dont la daten’est pas connue, un fils nommé Thomas qui prit au commencement le surnom de LaFère et ensuite celui de Marle, comme héritier de sa mère. Cette femme ne vécutpas sans de violents soupçons de galanterie et Thomas de Marle en souffrit. Sonpère, qui ne croyait l’être que de nom, conçut tant d’aversion contre lui,qu’il prit la résolution de le déshériter. Plein de la haine qu’il lui portaitet avec autant de passion qu’il avait d’ailleurs pour le sexe, il fit uneseconde alliance après la mort d’Ade de Marle; mais son malheur voulut quecette seconde femme fut encore pire que la première. Cette femme adultère etincestueuse, car les crimes de ce genre ne lui coûtaient rien, s’appelaitSibylle et était fille de Roger, comte de Château-Portien, qui avait déjà eudes enfants d’un premier lit. Les belles-mères savent distinguer entre lesenfants qui n’appartiennent qu’à leurs maris et ceux qui leur appartiennent encommun. Celle-ci ne démentit point son caractère et Sibylle emporta, àl’exclusion de ses aînés, le comté de Château-Portien que Roger lui donna à lapersuasion de sa mère en la mariant à Godefroy, comte de Namur. Ce prince étaitillustre entre les premiers princes de l’Empire, et Enguerrand lui était assezprès allié. Une guerre qui lui survint peu d’années après son mariage obligeaSibylle de venir faire quelque séjour au château du Tour en Portien oùEnguerrand, qui était encore veuf, eut l’occasion de la voir souvent. Sibyllese plaignit à lui de la longue absence de son mari, non pas que Godefroy luitint fort à cœur par lui-même, mais parce qu’il s’était allumé dans ses veinesun feu, dont elle se mit si peu en peine d’arrêter les progrès qu’elle était  même alors enceinte d’un autre que de lui.Enguerrand, qui n’entendit que trop bien ce que ces plaintes signifiaient,s’offrit de lui tenir lieu de mari quand elle voudrait. Sibylle n’était pasd’un tempérament à refuser, et comme elle ne cherchait que l’occasion et lesmoyens de satisfaire sa passion sans s’inquiéter de ce qui pourrait en arriver,elle accepta la proposition et se retira toute enceinte qu’elle était versEnguerrand qui la retint pour épouse. Un mariage aussi uniforme que celui-là nepouvait manquer de faire de l’éclat, et les suites en furent bien tragiques.Godefroy ne put soutenir l’affront de se voir enlever sa femme: Enguerrandétait homme à ne la rendre qu’à la pointe de l’épée. Sibylle, de son côté, nevoulait plus retourner auprès de son premier mari, et après la démarchescandaleuse qu’elle venait de faire il n’y avait pas trop de sûreté pour elle àprendre ce dernier parti. Il fallut donc s’attendre à une guerre ouverte entreces deux seigneurs, et elle fut soutenue de part et d’autre avec ladernière  animosité.

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ans ces premiers temps de latroisième race, les seigneurs particuliers se faisaient impunément la guerreles uns aux autres; et nos rois ou n’étaient pas assez puissants pour s’opposerà ces troubles intestins ou trouvant leur compte à voir diminuer les forces etla puissance de leurs vassaux, ils demeuraient simples spectateurs de leursquerelles, et ne s’en mêlaient eux-mêmes que lorsqu’elles touchaient de près àleur personne ou à la sûreté de l’état. Godefroy et Enguerrand armèrent doncl’un contre l’autre, et en vinrent aux dernières extrémités. Leur fureur ne fitquartier ni aux hommes ni aux terres. Ravages, meurtres,  incendies: rien ne fut épargné. Tous ceux duparti de Godefroy qui tombaient entre les mains d’Enguerrand étaientsur-le-champ mis à mort; et Godefroy ne faisait pas un meilleur parti aux gensd’Enguerrand: on leur crevait les yeux ou on leur coupait les pieds; la potenceétait leur plus doux supplice; en un mot le comté de Château-Portien, qui futle principal théâtre de cette guerre, fut tout ensanglanté de ces exécutions etil en porta des marques qui durèrent encore longtemps après.

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u milieu de tant de désolations, cequ’Enguerrand avait le plus à craindre était le zèle des évêques pour les loiset pour la discipline de l’église. Les canons y étaient formels, et sil’excommunication eût été lancée il n’y avait aucun lieu de douter que ce coup,plus sûr que les armes de Godefroy, ne dût infailliblement entraîner après soila séparation d’Enguerrand et de Sibylle. Le roi Philippe Ier lui-même, dans uncas tout à fait semblable, se vit obligé vers le même temps, et malgré toute sapuissance, de renoncer à Bertrade de Montfort. Cependant la première croisadeavait été prêchée en France avec tout le succès que l’on en pouvait attendre etThomas de Marle s’était embarqué pour la Terre Sainte au mois d’avril 1096, àla suite de Hugues le Grand, comte de Vermandois, frère du roi Philippe Ier,soit par motif de religion, soit pour éviter la présence d’un père qui lehaïssait, soit parce que deux de ses plus proches parents, Baudoin Ier, comtede Hainaut, et Baudoin du Bourg, qui avaient entrepris ce même voyage,l’engagèrent à l’entreprendre avec eux. Il partit pour cette expédition et sedistingua entre tous les autres croisés, surtout aux sièges de Nicée et deJérusalem, où il signala son courage en plus d’une occasion. Après la conquêtede cette dernière ville et l’établissement du nouveau royaume qui en prit lenom, Thomas ne paraît plus dans la suite de l’histoire d’Orient. L’amour de lapatrie l’emporta sur lui comme sur une infinité d’autres qui se contentèrentd’avoir affranchi les lieux saints de la tyrannie des infidèles, sans se croireobligés de pousser plus loin leurs conquêtes, ou de ne contribuer à l’affermissementd’un trône qui ne devait sa naissance qu’à leur valeur. Dès qu’il fut de retouren France, il pensa à un second mariage. Il était veuf alors d’Yde, sa premièrefemme; peut-être l’était-il même dès le temps qui précéda son voyage pour laTerre Sainte, car on ignore absolument le jour et l’année qu’elle mourut; onignore même le temps qu’elle avait épousé Thomas de Marle. Yde était filleaînée de Baudoin, comte de Hainaut, et d’Yde de Louvain; et Thomas de Marle enavait eu deux filles: Yde ou Bazilie qui épousa en premières noces Alard deChimay, l’un des pairs du comté de Hainaut, puis en secondes noces, Bernardd’Orbais; et Béatrix, femme d’Evrard, seigneur de Breteuil en Beauvaisis.Thomas fit une seconde alliance avec une de ses proches parentes, à Dam...entre autres lieux de Montaigu en Laonnois, et joignit, en l’épousant, lapossession de cette place à celle de La Fère et de Marle, qu’il tenait déjà dela  succession de sa mère.

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es trois forteresses le mirent enétat de se faire craindre en Picardie où il ne devint guère moins puissantqu’Enguerrand, seigneur de Coucy, son père. Mais celui-ci n’avait d’autrefaiblesse que trop de penchant pour les femmes: du reste c’était un hommed’honneur et respectable par ses bonnes qualités, au lieu que Thomas de Marlepassait, avec justice, pour l’homme de son siècle le plus méchant et le pluscruel. Dès sa première jeunesse il s’était accoutumé au brigandage; et cetteinclination le porta dans la suite à de si grands excès qu’on a honte de leslire dans ceux qui en ont voulu faire le détail, et qu’on ne les souffriraitqu’avec peine dans notre langue. Dès qu’il eut acquis le château de Montaigu ilen fit comme une place d’armes, d’où il pouvait inquiéter impunément le menupeuple et toute la noblesse du voisinage. Il était difficile de l’inquiéterdans cette  retraite.

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ependant les violences qu’il exerçaitcontinuellement envers tout le monde allèrent si loin qu’à la fin son père, quile haïssait d’ailleurs mortellement, prit la résolution de l’en chasser. RobertIII, seigneur de Péronne, son frère, se joignit à lui avec Ebles II, comte deRoucy, André de Roucy, seigneur de Rameru, Hugues dit le Blanc, seigneur de LaFerté, et plusieurs autres de ses amis ou de ses alliés; et tous ensemble ilsvinrent  assiéger la place. Thomas, quimalgré son courage et la situation du lieu ne se sentait pas assez fort pourtenir tête à tant de conjurés, sortit la nuit de son château avant que lestranchées fussent achevées, et vint trouver le fils du roi qui fut depuis connusous le nom de Louis le Gros. Ce jeune prince qui, sur le point de succéder àson père, gouvernait déjà lui-même et signalait presque toutes ses journées parquelque action d’éclat, lui promit du secours et lui en donna sur-le-champ. Ilvint lui-même devant la place suivi de sept cents hommes de cheval, dans larésolution de forcer les assiégeants à quitter leur entreprise. Ceux-ci, qui nes’attendaient point à combattre contre l’héritier présomptif de la couronne, leconjurèrent de leur côté de ne point prendre parti contre eux, de peur qu’ensoutenant la querelle d’un méchant homme il ne perdit le service de plusieursbraves et fidèles seigneurs. Mais n’ayant rien gagné sur son esprit, ils sesoumirent entièrement à sa volonté et levèrent le siège. Louis fit aussitôtabattre tous les forts qu’ils avaient fait dresser, combla les tranchées etrafraîchit la place de vivres et de gens de guerre, vers l’an 1104. Cette mêmeannée, Enguerrand, évêque de Laon, mourut. Enguerrand, seigneur de Coucy, et Sibyllesa femme, n’avaient jamais trop compté sur l’absolution qu’ils en avaientreçue. Malgré tous les remords de leur conscience, ils habitaient toujoursensemble. Dès que le seigneur de Coucy eut appris la maladie de l’évêque, ilalla lui rendre visite; il le trouva dans une situation si triste qu’il ne putretenir ses larmes. Le malade avait entièrement perdu l’usage de la parole,quoiqu’il ne fut pas sans connaissance. Sa fin approchait. Les prêtres qui sedisposaient à lui administrer les sacrements, et qui regardaient le seigneur deCoucy comme un excommunié, ne voulurent rien faire en sa présence et le firentsortir de la chambre. Il s’approcha néanmoins du lit du malade et se nomma àhaute voix. L’évêque moribond le reconnut, lui tendit les bras, et l’embrassaétroitement pour la dernière fois. Cette circonstance de la mort du prélat vintbientôt aux oreilles de Sibylle, qui s’en moqua ouvertement, et qui ne craignitpas de dire que c’était là cimenter, même au lit de la mort, une des plusmauvaises actions qu’il eut faite de sa vie. Mais si l’évêque ne se démentitpas, et s’il parut n’avoir aucun regret de ce qu’il avait fait pour Sibylle etpour le seigneur de Coucy, celui-ci n’en était pas plus tranquille. Leprotecteur de son mariage était mort, et il craignait un successeur plus fermeet plus désintéressé que son cousin.

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l se donna donc de grand mouvementpour avoir un évêque à sa dévotion. Néanmoins cette affaire traîna en longueur.Le siège de Laon vaqua deux ans de suite, et ne fut rempli qu’en 1106 parl’élection de Gaudry, chancelier du roi d’Angleterre. Enguerrand assista etparaît avoir eu bonne part à son élection. Aussi le nouvel évêque lefavorisa-t-il de tout son pouvoir. Il conçut contre Thomas de Marle la hainequ’Enguerrand, son père, lui portait et poussa même cette haine si loin qu’ilfit arracher les yeux à un certain Gérard attaché au service et partisan deThomas, précisément parce qu’il lui était attaché. Sibylle, de son côté, parutreconnaissante et le fit bien voir par des effets. Elle contribua autant quepersonne à la mort de Gérard de Crécy, un des premiers seigneurs du Laonnois,que l’évêque Gaudry haïssait, et que Roricon, son frère, assassina dans lacathédrale de Laon, pendant qu’il y était en prières. Mais cet évêque fit unefin tragique, et fut assassiné à son tour l’an 1112, dans le cloître même de lacathédrale, à l’occasion de la commune qu’il avait favorisée d’abord, et qu’ils’était ensuite efforcé d’abolir. Thomas de Marle ne trempa pas dans cemeurtre. Cependant comme il ne se faisait presque point de mal dans cescontrées sans lui, s’il n’eut point de part à l’action il en eut beaucoup auxsuites fâcheuses que cette action entraîna après elle. Peu de temps après lesiège de Montaigu, il s’était vu contraint de renoncer à la possession de cetteplace, et à la jouissance de celle qui la lui avait apportée en mariage. Leurparenté fut cause de leur séparation: elle en fut du moins le prétexte; etThomas fit bientôt une troisième alliance avec Milesende, fille de Guy deCrécy, et héritière des châteaux de Crécy et de Nogent, situés dans leterritoire des deux villages du même nom au diocèse de Laon. Crécy estaujourd’hui un gros bourg sur la Serre, à trois lieues de cette ville. Pour cequi est de Nogent, ou ce lieu ne subsiste plus ou il a changé de nom; il nefaut point le distinguer de Novion-le-Comte, sur la même rivière de Serre,entre le Sart et Pont-à-Bussy. Le domaine de ces deux paroisses appartenaitalors à l’abbaye de Saint-Jean de Laon; mais Thomas s’en empara bientôt, à lafaveur de ces deux nouvelles forteresses. Enguerrand était parvenu alors à unâge fort avancé. La conduite et les dérèglements de Thomas de Marle luicausaient un chagrin mortel, et il n’en était que plus ferme dans la résolutionqu’il avait prise de le déshériter. Sibylle, qui commençait à ne plus vouloiruser avec lui des droits d’une épouse, lui avait fait entendre qu’il étaittemps enfin de vivre ensemble avec la chasteté d’un frère et d’une sœur; maiscomme elle ne lui refusait le devoir conjugal que parce qu’un mari suranné nelui plaisait pas, elle sut mettre à profit la haine et la résolution duvieillard pour satisfaire d’un même coup et son ambition et son incontinence.Elle aimait un jeune homme nommé Guy, et entretenait avec lui un commercecriminel. Enguerrand ne voyait pas ce jeune homme d’un bon oeil; mais cettefemme, plus adroite que lui, l’ensorcela de manière qu’elle le fit consentirnon seulement à le recevoir chez lui, mais même à lui donner sa propre fille enmariage et à l’établir gardien et défenseur de sa terre de Coucy, contre Thomasde Marle. Cette fille pouvait bien être le fruit de leurs premières amours;elle pouvait aussi n’être née que d’un commerce honteux et illégitime queSibylle avait entretenu pendant l’absence de Godefroy,  son premier mari, avant qu’elle se donnât àEnguerrand. Quoi qu’il en soit, elle servit à pallier l’inceste et le doubleadultère de Sibylle avec le nouvel époux. Enguerrand, qui voyait affecter à cejeune homme une haine irréconciliable contre Thomas de Marle, trouva de soncôté dans ce mariage de quoi satisfaire pleinement le sien propre. Thomas, quise voyait par cette alliance à la veille de perdre la terre de Coucy, se laissaemporter à toute sa fureur, et ne garda plus aucune mesure envers Sibylle etEnguerrand. Il porta le fer et le feu dans toutes leurs terres, et massacratous ceux de leurs gens ou de leurs vassaux qui  tombèrent sous ses mains. On remarque comme un trait de sacruauté, qu’en un même jour il arracha les yeux à dix de ces malheureux.Sibylle, qui portait dans son cœur toute la haine d’une marâtre, sut bien userde représailles, et porta Enguerrand aux dernières extrémités. Ce ne fut depart et d’autre que ravages, meurtres, incendies; et plus d’un an se passa de lasorte, sans que le père, le fils et la belle-mère pussent se lasser de répandredu sang. Si par intervalle ils se donnaient quelque  relâche, ce n’était que pour recommencer peu de temps après avecplus de furie. Pendant qu’ils étaient ainsi animés l’un contre l’autre, le roiavait accordé aux habitants d’Amiens d’établir une commune, à l’imitation decelle de Laon et saint Godefroy, leur évêque, y avait prêté les mains.Enguerrand, comte de la ville, qui voyait par ce nouvel établissement diminuerles anciens droits de son comté, s’y opposa de toutes ses forces, et leva lesarmes contre les bourgeois qui se mutinèrent. Adam,  gouverneur de la citadelle, qui lui était fidèlement attaché,vint à son secours; les bourgeois le repoussèrent jusque dans son fort, et iln’osa plus paraître. Fiers de ce premier succès, ils s’adressèrent à Thomas deMarle, et lui demandèrent du secours contre Enguerrand. La mauvaiseintelligence qui régnait entre le père et le fils semblait leur permettre toutle succès qu’ils attendaient de leur révolte; en effet, Thomas appuya leurparti pendant quelque temps. L’occasion se présenta bientôt de faire sentir àSibylle qu’elle avait affaire à un ennemi irréconciliable. Gautiers,archidiacre de Laon, frère utérin de cette femme, et qui avait été le principalmoteur de son mariage avec Enguerrand, était allé à Amiens, vers le milieu ducarême de l’an 1114, voir sa sœur. Thomas aposta quelques scélérats sur lacroupe de la montagne de Laon qui le poignardèrent à son retour.

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nguerrand s’aperçut alors qu’il étaittemps de se dépouiller, du moins à l’extérieur, de toute la haine qu’il portaità son fils; c’était un coup de partie pour lui et il ne le négligea pas. Ilmanda Thomas de Marle qui vint le trouver, et il lui fit entendre qu’il luirendrait toute son affection s’il prenait son parti contre les habitantsd’Amiens. Sibylle, qui savait jouer plus d’un personnage, employa de son côtépour l’y déterminer tout ce que la duplicité de son cœur pouvait lui suggérerde caresses. Thomas se rendit. Le sceau de la confédération fut le mariaged’une de ses filles fort jeune, nommée Milesende, qu’il promit à Aleaume, filsd’Adam, gouverneur du château d’Amiens. Il ne se méfia pas de tout; il lui encoûta d’abord de grandes sommes d’argent, que sa belle-mère, comme médiatricede la paix, sut tirer à son profit. Cette réconciliation du père et du filschangea bientôt la face des affaires; et les bourgeois n’eurent plus à seglorifier du succès de leurs armes. Guermond de Pequigny, vidame de l’évêque, étaità leur tête, et soutenait puissamment leur querelle. Thomas de Marle et Adam sejoignirent ensemble et leur tombèrent sur les bras. Thomas, qui ne doutait pasque les chanoines, conjointement avec l’évêque, ne fussent d’intelligence avecles bourgeois, se jeta sur les terres et sur les villages de l’église, et ycommit une infinité de meurtres et de ravages. Tous ceux qui ne tenaient paspour Enguerrand étaient sur-le-champ ou estropiés, ou mis en rançon, ou faits prisonniers, ou cruellementmassacrés; il en tua trente lui-même de sa propre épée. Le danger où ils’exposait continuellement ouvrit les yeux à Sibylle qui cherchait les moyensde venger la mort de son frère. Sybille fit avertir sous main le vidame qui luidressa des embûches. Thomas eut le malheur d’y tomber et fut blessé à plusieursendroits du corps. Il était à pied, pendant la nuit, et hors de défense.Guermond l’attaqua à son avantage et lui porta entre autres un si rude coup delance dans le jarret que tout le genou en fut traversé. La blessure était tropconsidérable pour être négligée. Thomas fut contraint d’abandonner l’armée etde se retirer dans son château de Marle pour se faire panser. Ce fut au mois denovembre que cet accident lui arriva. Mais les évêques de France, vivement touchésde tous les maux dont il était l’auteur, lui déclarèrent un autre genre deguerre, qui devait lui causer bien de l’embarras. Ils tenaient dans ce mêmetemps un concile à Beauvais, et ils y firent de si grandes plaintes contre luique le légat Conon, évêque de Palestine, qui présidait à ce concile, le déclaraexcommunié, dégradé de l’ordre de chevalerie, et déposé de tous ses honneurs,comme infâme scélérat et ennemi du nom chrétien. Les évêques ne s’en tinrentpas à cette condamnation, qui fut longtemps publiée à tous les prônes desparoisses.

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ls sollicitèrent fortement le roi demener des troupes contre lui et de forcer ses châteaux de Crécy et de Nogent.Le roi se rendit à leurs prières, et dès le carême de l’année suivante, lapremière de ces places fut emportée l’épée à la main, malgré le peu derésolution que le roi trouva d’abord dans son armée; et la seconde ouvritelle-même ses portes. Thomas était toujours à Marle où il ne s’attendait pas àune perte si considérable. Fortifié du secours de ses amis, il avait renvoyébien loin la proposition que le roi lui avait fait faire, de restituer àl’abbaye de Saint-Jean le domaine de ces deux villages. Il en coûte à se raidircontre son prince. Thomas y perdit ses deux châteaux que le roi fit raser; ettous ceux des complices de la mort de Gaudry, évêque de Laon, qui s’y étaientréfugiés, furent exécutés sans miséricorde, ou trouvèrent leur salut dans lafuite. Sibylle, de son côté, n’était pas sans embarras. Adam, gouverneur de la  citadelle d’Amiens, et qui l’avait toujoursdéfendue pour Enguerrand, jusqu’au temps de la blessure de Thomas de Marle,n’eut pas plutôt appris cette trahison qu’il se déclara pour Thomas. Celui-ci,en se retirant, lui avait laissé l’élite de ses troupes; et avec ce secours iltenait tête d’un côté à Enguerrand et à Sibylle, et de l’autre au vidame et auxbourgeois. Dans cette fâcheuse circonstance, Sibylle crut n’avoir point demeilleur parti à prendre que de faire sa paix avec le vidame dans le desseind’unir ses forces avec celles de la commune, pour chasser plus facilement Adamde la place. C’est peut-être à cette occasion qu’il faut rapporter ce qu’unancien auteur dit de Sibylle qu’elle serra à tout événement sa vaisselle d’oret d’argent et ses meilleurs effets dans l’église cathédrale de Laon, quivenait d’être nouvellement remise sur pied.

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uoi qu’il en soit, Sibylle et levidame se joignirent ensemble, et appelèrent à leur secours Louis le Gros, quiy vint avec un corps d’armée considérable; en sorte que Adam eut trois ennemissur les bras au lieu d’un. Le roi était devant la place sur la fin du carême del’an 1115, et, ayant tenté inutilement un assaut, il la fit bloquer dans ledessein de la prendre par famine. Des affaires plus pressantes l’appelaientailleurs; il courut où sa présence était le plus nécessaire, et ne revint àAmiens qu’au bout de deux ans.

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ans cet intervalle, Enguerrandmourut, et ce fut apparemment vers la fin de l’an 1116. Il avait passé au moisde mars de cette année une transaction avec Azenavie, abbé de Saint-Remy, etc’est le dernier acte que l’antiquité nous ait conservé de ce seigneur.

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n ne peut nier qu’Enguerrand Iern’ait eu de grands défauts, et il faut mettre de ce nombre son amour désordonnépour Sibylle de Château-Portien; mais il eut aussi des vertus. On a vu quel’abbaye de Nogent lui est redevable d’une partie de ses revenus. Il enrichitaussi de plusieurs héritages celle de Saint-Vincent de Laon, et fit de grandsbiens en 1085 au chapitre de Saint-Acheul près d’Amiens. Le jour précis de samort est inconnu, aussi bien que le lieu de sa sépulture; et l’histoire deSibylle, sa femme, se termine avec la sienne: il disparaît et il n’est plusfait mention d’elle.

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utre Thomas de Marle, il avait eu unfils nommé Robert, dont on ne sait que le nom et qui mourut avant son père,sous le pontificat de Barthélemy, évêque de Laon. Peu de temps après, saintNorbert jeta les fondements de la célèbre abbaye de Prémontré, dans le diocèsede Laon. Thomas assista avec le jeune Enguerrand, son fils, à la consécrationde l’église qu’en fit l’évêque Barthélemy, et dota de plusieurs biens cetteabbaye naissante. Le reste de sa vie, qui fut encore de dix années ou environ,n’est pas fort connu. Quelques marchands passèrent vers ce même temps par lesterres de Thomas de Marle; ils avaient un sauf-conduit signé de lui-même.Cependant, par la plus noire des trahisons, il les fit arrêter, les dépouillade leurs marchandises, et les retint prisonniers. Le roi fut sensible à cetteperfidie et jura de la venger. Il se rendit pour cet effet à Laon où, ayantpris conseil de plusieurs prélats, de Raoul comte de Vermandois, et desprincipaux barons du royaume, il résolut d’aller attaquer Thomas dans sonchâteau de Coucy. La résolution prise, ceux qu’il avait envoyés reconnaître laplace lui étant venu rapporter qu’elle était inaccessible, et qu’il seraitdifficile d’en venir à l’exécution, le roi, loin de se laisser ébranler,déclara hautement que ni l’amour de la vie, ni la crainte de la mort ne seraientcapables de le détourner de cette entreprise, et sur-le-champ il monta à chevalet se mit à la tête de ses troupes. Le comte de Vermandois le suivit despremiers: il ne cherchait l’occasion que de venger la mort de son frère etc’était principalement sur l’avis de ce prince que Louis le Gros avait conclu àformer le siège. Thomas aperçut l’orage, et prit des mesures pour s’en mettre àcouvert. Il dressa des embûches à une partie de l’armée; il fut pris dans sonpropre piège, et frappé d’un coup qui le fit tomber de cheval. Raoul, quin’était pas loin, vint aussitôt à bride abattue sur lui, et, sans lui donner letemps de se relever, lui passa son épée au travers du corps. Le coup étaitmortel, mais Raoul ne s’en contenta pas, et il allait  recommencer, si l’on ne se fût opposé à ce dernier effort de savengeance. Thomas fut présenté au roi qui ordonna de le transporter à Laon, oùil devait se rendre le lendemain. Milesende, sa femme, n’eut pas plutôt apprisl’état où il était, qu’elle s’y rendit sur la permission que le roi lui endonna. Cependant, ni cette grâce qu’il venait de recevoir de son prince, ni lacrainte de la mort ne put le déterminer à rendre de lui-même ses prisonniers.Le roi menaça, il s’abaissa jusqu’aux prières. Tout fut inutile. Thomas regrettaitencore plus la perte de ces prisonniers que la perte même de la vie, qui suivitde près. Telle fut la fin malheureuse de ce seigneur toujours rebelle à sonprince. Il paraît être le premier de sa maison qui ait pris dans les titrescelui de Coucy par la grâce de Dieu. En quoi ses successeurs l’ontsouvent imité ! Il mourut en l’année 1130, et son corps fut porté dans l’abbayede Nogent-sous-Coucy à laquelle il avait fait quelques dons pendant sa vie. Ilfut enterré sous la tour de l’église et y demeura jusqu’au 3 avril 1219,qu’Enguerrand III, son arrière-petit-fils, permit de le transporter dans lechœur de la nouvelle église que Robert II, abbé du lieu, avait fait construire.Cette abbaye avait pris de grands accroissements depuis sa fondation. Henry,qui en avait été le premier abbé, céda sa place de son vivant à un jeunereligieux du Mont Saint-Quentin, près de Péronne, nommé Godefroy, qui fut éludu consentement unanime de toute la communauté, et qui contribua plus qu’aucunautre par ses soins et par son économie à la rendre florissante. Godefroy étaitabbé de Nogent, dès l’an 1095. Il fut fait évêque d’Amiens en 1105 et a mérité,par l’éclat de ses vertus, que l’église lui décernât un culte public après samort. Sa fête se célèbre le 8 novembre. Guibert, célèbre par ses ouvrages, etconnu sous le nom de Guibert de Nogent, mais envenimé contre son prédécesseur,lui succéda en 1105 et mourut en 1124. André, qui fut élu après Guibert, vivaitencore lorsque Thomas de Marle mourut. Ce seigneur laissa de sa femme troisenfants, héritiers de ses biens, deux fils et une fille. Les deux fils furentEnguerrand II, nommé communément Enguerrand de La Fère, seigneur de Coucy, deMarle, de La Fère, de Crécy, de Vervins, de Pinon, de Landousies, de Fontaineset de quelques autres lieux; et Robert Ier, seigneur de Boves, qui se qualifiapendant quelque temps comte d’Amiens, quoique son père en eût perdu le titre etla jouissance. La fille, nommée Milesende, fut d’abord accordée, comme on l’avu avec Aleaume, fils d’Adam, gouverneur de la citadelle d’Amiens, et épousadepuis Hugues, seigneur de Gournay au pays de Caux, à qui elle porta en mariagequelques terres démembrées du domaine de Boves. La première chose à laquelles’attacha Enguerrand II, après la mort de son père, fut de restituer à diverseséglises les biens dont celui-ci les avait dépouillées; car quoique Thomas eûtpromis quelques années  auparavant deréparer tout le tort qu’il avait fait aux ecclésiastiques, néanmoins il laissasa promesse à acquitter à ses enfants. Enguerrand et Milesende de Crécyrésistèrent d’abord; mais leur résistance ne fut pas longue. On a des actes deces restitutions datés de l’an 1131; et dans la suite ils en firent encoreplusieurs autres. Milesende vivait encore en 1147. Elle fonda près de Coucy,dans un lieu appelé Rosières, un petit monastère qu’elle soumit à l’abbaye dePrémontré.

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nguerrand n’avait point hérité desvices de son père. Il semble au contraire qu’il ait affecté de se distinguer delui en faisant du bien. Une grande partie des abbayes des environs se louent deses libéralités. Il est fâcheux de ne savoir presque rien de la vie et desactions de ce seigneur. Lorsque le roi Louis le Jeune se croisa à Vézelay en1146, pour aller en personne au secours des fidèles de Terre Sainte, Enguerrand II prit la Croix à son exemple,avec Robert de Boves, son frère, et Evrard de Breteuil, son beau-frère: c’estlà où se termine son histoire. On veut qu’il soit péri avec tant d’autrenoblesse dans cette expédition qui fut si funeste aux croisés de France etd’Allemagne. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il était encore en France en 1147.Il ne laissa que deux fils: Raoul %Ier, qui hérita de la plus grande partie deses biens, et Enguerrand. Celui-ci avait été baptisé en 1142, dans l’abbaye dePrémontré, par Barthélemy, évêque de Laon, et fut père, selon toutes lesapparences, de deux enfants qui vivaient encore en 1187, l’un nommé Raoul, quiprit le parti de l’église, et l’autre nommée Marguerite, qui fut mariée àJoubert, seigneur de la Ferté-Béliard. Ce jeune Enguerrand mourut avant la finde l’an 1174, peut-être même avant cette année, et fut enterré dans l’abbaye deSaint-Denis en France. Pour ce qui est d’Agnès de Beaugency, femme d’EnguerrandII, on ignore l’année de sa mort; on sait qu’elle vivait en 1147, et qu’ellefut enterrée dans l’abbaye de Saint-Vincent de Laon. Ce que l’on sait de RaoulIer se réduit à très peu de chose. Il paraît que ce nom lui fut donné enmémoire de Raoul de Beaugency, son aïeul maternel, ou de Raoul, comte deVermandois, son grand-oncle. Il prit d’abord le surnom de Marle, à cause duséjour qu’il faisait ordinairement dans cette ville. Raoul %Ier avait épousé enpremières noces Agnès, seconde fille de Baudoin le Bâtisseur, comte de Hainaut,dont il eut trois filles. Agnès de Hainaut mourut à Laon en 1173; et comme elleavait sa sépulture dans l’abbaye de Nogent-sous-Coucy, il y eut à ce sujet degrandes contestations entre les religieux de cette abbaye et ceux deSaint-Vincent de Laon. C’était le droit de ceux-ci d’enterrer chez eux nonseulement les chanoines de l’église cathédrale, mais encore les vassaux et ceuxqui tenaient des fiefs mouvants de cette église lorsqu’ils mouraient à Laon,dans ce qu’on appelait alors les limites de la paix. Ceux de Nogent opposaientà ce droit la disposition testamentaire de la défunte, et l’affaire fut portéeau Saint-Siège. Comme elle ne fut pas sitôt terminée, Agnès fut enterrée, commeelle l’avait souhaité, dans l’abbaye de Nogent, et Nivelon, évêque de Soissons,régla dans la suite les droits que ces deux abbayes auraient dorénavant àprétendre dans ces sortes d’occurrences. La seconde femme de Raoul fut Alix,propre sœur du comte de Dreux, son gendre, laquelle vivait encore en 1217; etpar cette nouvelle alliance il eut l’honneur de devenir lui-même gendre d’unfils de France et cousin germain, par sa femme, du roi Philippe-Auguste. Lesenfants qu’il eut de ce second lit furent Enguerrand III, Thomas, Raoul, Robertet Agnès, femme de Gilles, seigneur de Beaumes, châtelain de Bapaume. Avant quede partir pour la Terre Sainte, il partagea ses terres entre ses enfants dusecond lit, ou plutôt il institua son héritier Enguerrand III, à l’exception dequelques portions qu’il assigna aux autres. En vertu de ce partage, Raoul, quiavait pris le parti de l’église, et Agnès qui n’était point encore mariée,n’eurent qu’une somme d’argent ou une pension alimentaire. Thomas qui fitsouche, eut les seigneuries de Vervins, de Fontaines et de  Landousies; Robert, qui fut aussi chef de sabranche, eut la seigneurie de Pinon, avec tout le bien de sa mère; et l’un etl’autre devaient faire hommage de leurs terres à Enguerrand, leur aîné.Quelques années avant ce partage, Raoul %Ier avait pris en hommage du comte deFlandre ces terres de Marle et de Vervins, mais par le traité de paix quisurvint ensuite, ce comte fut obligé de lui remettre cet hommage. La Fère dontil jouissait encore était anciennement un fief mouvant de l’évêché de Laon.Roger de Rosoy, évêque de Laon, le remit au roi en 1185; et depuis ce tempsRaoul ne releva plus que du roi pour ce fief. On voit, par toutes ces allianceset par les grands biens qui se trouvaient alors dans la maison de Coucy, queRaoul Ier devait être un puissant seigneur. Il avait, à l’imitation des ducs etdes comtes, des officiers tels que ceux de la maison de nos rois. On trouvequ’en 1166, c’est-à-dire avant même qu’il eût épousé une princesse du sang, ilavait un sénéchal, un chambellan et un bouteiller. Mais les seigneurs de Coucysont redevables de tout leur éclat à Enguerrand III, fils aîné de Raoul %Ier.Ce nouvel Enguerrand mérita le surnom de Grand qui lui fut donné, soit par lesgrandes alliances qu’il fit entrer dans sa famille, soit par le grand rôlequ’il joua dans le monde, soit enfin par les grandes qualités qui brillaient enlui quoiqu’un peu obscurcies quelquefois par de grands défauts. Il fut detoutes les guerres et de toutes les expéditions considérables qui se firent deson temps en France, en Angleterre et en Flandre.

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e château de Coucy, que l’archevêqueHervé avait fait construire, mais qui n’avait été bâti que par les paysans dulieu, ne lui paraissait pas digne de sa magnificence. Il le fit abattre et surses ruines il en éleva un autre, dont les restes impriment  aujourd’hui, dans ceux qui les regardent deprès, je ne sais quelle surprise pour ceux qui en furent autrefois les maîtres.La ville de Coucy fut en même temps agrandie par ses soins; il l’embellit,l’orna de nouveaux édifices et l’environna de murailles et de tours depuis laporte Soissonne jusqu’à la porte de Laon. Enfin, pour rapprocher tout ce qu’ilfit en ce genre et mettre sous un seul point de vue les divers travaux auxquelsil s’appliqua pour embellir ou pour fortifier les places de son domaine, ilfit, outre cela, construire les châteaux de Saint-Gobain, d’Acy et de Marle, lechâtellier au-dessus de La Fère, le parc et la maison de Folembray, la maisonde Saint-Aubin entre Coucy et Noyon, le parc d’Espintier, sans parler del’hôtel de Coucy à Paris auprès de Saint-Jean-en-Grève, et de plusieurs autreslieux moins connus qui tous ensemble ne purent être achetés qu’avec une dépenseextraordinaire. Un de ses principaux soins fut de faire observer la justicedans toutes les terres de son obéissance. Coucy faisait anciennement partie ducomté de Vermandois, et se gouvernait selon les lois et les coutumes de cetteprovince. Enguerrand, qui affecta l’indépendance plus qu’aucun seigneur de sontemps, et qui s’était fait une petite souveraineté de son domaine, fit quelqueschangements à ces usages ou revêtir de son autorité ceux qui s’étaientintroduits insensiblement sous ses prédécesseurs. C’est ce que l’on appelleaujourd’hui la coutume de Coucy qui, depuis Enguerrand, a tenu lieu de loi dansla ville et dans une partie de son ressort, et qui a enfin été autorisée par leroi depuis la rédaction qui en fut faite sous ses  ordres en 1556. Enguerrand avait hérité de l’humeur guerrière etde la bravoure de Thomas de Marle, son bisaïeul. Il était marié avec Eustache,sœur et héritière de Raoul et de Jean %Ier, comtes de Roucy, dont le premier[avait épousé] Isabeau de Coucy, sa sœur. Il prit, en vertu de cette alliance,le titre de comte de Roucy et traita sous ce titre, en 1203, une confédérationavec Gautier, seigneur d’Avesnes, par laquelle ils jurèrent l’un et l’autre des’aider et de se prêter mutuellement secours envers et contre tous, sauf leservice et la fidélité qu’ils devaient au roi et à la comtesse de Vermandois.La croisade contre les Albigeois se publiait par toute la France, et une  infinité de seigneurs prenaient les armespour soutenir la querelle de l’église contre les hérétiques. Enguerrand secroisa en 1209 et alla joindre l’année suivante, avec les évêques de Paris etd’Auxerre, Robert de Courtenay, Inel de Mantes et quelques autres, l’armée ducomte de Montfort qui, avec ce secours, se rendit maître de la forteressede  Cabaret.

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nguerrand eut des ennemis; peut-êtreque ceux-ci l’engagèrent à la croisade dans le dessein de lui tendre desembûches et de l’y faire périr; peut-être ne pensèrent-ils à se défaire de luiqu’après qu’il eut joint l’armée du comte de Montfort. Quoi qu’il en soit,Enguerrand fut assez heureux pour éviter le danger, et ceux qui avaient conjurésa perte eurent au moins la honte de n’avoir pas réussi. On voyait, il y aquelques années à Coucy une grande pierre taillée en plein relief, qui pourraitbien avoir été un symbole de cette conspiration pour apprendre aux sièclesfuturs que la rage et les efforts des ennemis d’Enguerrand ne purent riencontre lui. Cette pierre, qui servait comme de fronton à la porte par où l’onentrait dans la grosse tour, représentait une espèce de lion, ou un animal àpeu près semblable, qui se jette sur un autre seigneur, prêt à le mettre enpièces, pendant que celui-ci se tient tellement à couvert de son épée et de sonbouclier que cet animal furieux ne trouve aucune prise sur lui. Enguerrand nefut pas plutôt de retour [de la croisade] contre les Albigeois que le roivoulut lui-même lui donner une troisième femme de sa main. Baudoin, comte deFlandre et empereur de Constantinople, son beau-frère, avait laissé deuxfilles, dont l’aînée, appelée Jeanne, était héritière de ce comté: et ce futsur cette princesse que le roi jeta les yeux pour la donner en mariage àEnguerrand. Celui-ci consentit sans peine à cette alliance, dont lesconventions furent ratifiées entre le roi et lui en 1211; et, pour cimenterdavantage une si belle union, Thomas, seigneur de Vervins, son frère, devaitépouser l’autre sœur, nommée Marguerite, qui fut depuis comtesse de Hainaut.Cependant ces deux projets de mariage n’eurent point de suite: Margueriteépousa successivement Bouchard d’Avesnes et Guillaume de Dampierre, l’un diacreet l’autre sous-diacre; et l’héritière de Flandre prit parti premièrement avecFerrand fils de Sanche Ier, roi de Portugal puis avec Thomas de Savoie.Enguerrand donc songea à une autre alliance et ne tarda pas à épouser Marie,fille de Jean, seigneur de Mont-Mirel-en-Brie, et d’Oisy sur les confins du Cambrésiset de l’Artois, qui s’était rendu religieux à Long-Pont et qui y mourut en1217. Marie apporta pour sa dot, entre autres terres, celle de Condé-en-Brie,et recueillit ensuite toute la succession de sa famille, c’est-à-dire lesseigneuries de Mont-Mirel, d’Oisy, de Crève-Coeur, de La Ferté-Ancoul,aujourd’hui La Ferté-sous-Jouarre, de La Ferté-Gaucher, et de plusieurs autresbelles terres, avec la vicomté de Meaux et la châtellenie de Cambray. Cetteriche succession rendit le seigneur de Coucy, son héritier, l’un des pluspuissants seigneurs qu’il y eut en France et le mit plus que jamais en état desoutenir son rang et sa dignité. Enguerrand était déjà marié avec l’héritièrede Mont-Mirel lorsqu’il se trouva à la fameuse [bataille] du Pont de Bouvines,le 27 juillet 1214. On sait la révolution qui était arrivée alors dans leroyaume. Les principaux de l’état, après avoir dépouillé le roi Jean de sacouronne, appelèrent à la succession le fils aîné de Philippe-Auguste, quirégna depuis en France sous le nom de Louis VIII. Ce jeune prince partit, en1215, pour aller prendre possession de ses nouveaux états; et Enguerrand deCoucy, qui avait contribué autant que tout autre par ses conseils à lui faireentreprendre ce voyage, l’y accompagna avec cinquante chevaliers de sa suite.On peut juger de là quelle était la puissance de ce seigneur. Car Robert II,comte de Dreux, qui avait épousé sa sœur, et qui fit le même voyage avec lui,n’y en mena que trente, le comte de Hollande trente-six, Jean, seigneur de Mont-Mirel,son beau-frère, vingt, et Arnoult II, comte de Guise, quinze. Mais avant que departir pour cette expédition, il avait excité de si grands troubles dansl’église de Laon que toute la province ecclésiastique y prit part. Il fallutnégocier cette affaire avec le roi et avec la cour de Rome, et l’orage ne futpas sitôt apaisé! On ignore le motif qui aigrissait jusqu’à un tel pointl’esprit du seigneur de Coucy; mais il n’y eut jamais de raisons assez fortespour en venir à ces sortes d’excès. Depuis ce temps jusqu’à l’année où saintLouis monta sur le trône, Enguerrand ne paraît presque point sur la scène etl’histoire ne fait nulle mention de lui. Ce qu’il y a de plus remarquable à sonsujet, c’est la permission qu’il donna d’enlever le corps de Thomas de Marle,son bisaïeul, de l’endroit où il reposait sous la tour de l’abbaye de Nogent,pour le transporter dans le cœur de la nouvelle église. Enguerrand avait euplusieurs enfants de sa dernière femme; quelques-uns moururent au berceau etfurent enterrés dans l’abbaye de Prémontré. Raoul %II et Enguerrand IV luisuccédèrent l’un après l’autre. Jean suivit le roi saint Louis avec son père en 1242, contre le comte de la Marche,et mena quelques troupes en 1244, après la mort de son père, à Alexandre II, roid’écosse, son beau-frère, contre Henri III, roi d’Angleterre, qui dissipabientôt ce faible secours. C’est tout ce qu’on trouve dans l’histoire de cejeune seigneur, qui mourut peut-être peu de temps après, et qui fut enterré àFoigny auprès de son père. Marie, l’aînée des filles d’Enguerrand III, eut deuxmaris. Elle épousa d’abord en 1239 Alexandre II, roi d’écosse, à qui selontoutes les apparences elle porta en dot le comté de Gower, auprès de Roxbourg,dans la province de Tiviotdale, dont jouissait son père, sans qu’on sache dequelle manière ce bien était venu dans sa famille. Elle épousa en secondesnoces Jean de Brienne, roi de Jérusalem. Enfin Alix, cadette de Marie, épousaArnoud III, comte de Guisnes, dont les enfants unirent à la succession deGuisnes celle de Coucy. Pour ce qui est de Marie de Mont-Mirel, veuved’Enguerrand III, elle était encore vivante en 1271, et fut enterrée àLong-Pont, auprès du baron Jean de Mont-Mirel, son père.  Raoul II, fils aîné d’Enguerrand III, etseigneur de Coucy après son père, ne tient sa place dans l’histoire que par laseule action qui termina glorieusement sa vie. Lorsque saint Louis fit levoyage d’outre-mer, pour aller combattre les infidèles dans la Terre Sainte,Raoul se croisa avec lui et se trouva, l’an 1250, à la bataille de La Massoure,où il fut tué auprès de Robert, comte d’Artois, frère de saint Louis, aprèsavoir fait, pour sauver ce prince que sa bravoure avait emporté trop loin,des  actions plus qu’humaines. Il avaitépousé Philippotte, troisième fille de Simon de Dammartin, comte de Ponthieu etde Montreuil et veuve de Raoul d’Issoudin II, comte d’Eu, et en avait eu unfils nommé Enguerrand, qui mourut jeune avant son père; en sorte que lasuccession de Coucy passa à Enguerrand IV, son frère puîné. Enguerrand IV étaitencore jeune lorsque son père mourut, et commença à se faire connaître par uneaction digne de la cruauté de Thomas de Marle.

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l y avait dans l’abbaye deSaint-Nicolas-au-Bois, à trois lieues de Coucy et de Laon, trois jeunes gentilshommesflamands, envoyés par leurs parents pour apprendre la langue française. [Ils]allèrent un jour se promener hors du monastère et s’amusèrent à tirer deslapins à coups de flèches. L’ardeur de la chasse les ayant emportés jusque dansles bois de Coucy, ils furent arrêtés par les gardes d’Enguerrand qui eut labarbarie de les faire pendre sur-le-champ sans vouloir les entendre et sansleur donner le temps de se préparer à la mort. Le bruit de cette action atroceparvint aux oreilles de saint Louis. Ce monarque, indigné contre l’auteur d’uncrime aussi lâche, donna ordre sur-le-champ de faire citer Coucy par devant lesjuges de la cour du roi. De Coucy se présenta, mais il refusa de répondre sousprétexte qu’étant baron il ne pouvait être jugé que par ses pairs. Malgré sesreprésentations, le roi le fit enfermer dans la tour du Louvre, et garder pardes huissiers et des sergents. Cette action de rigueur, inouïe jusqu’alors,étonna tous les barons qui étaient presque tous parents ou alliés du coupable.Dans la première assemblée de la cour, le roi déclara que le coupable fûtcondamné à la peine du talion. Les barons l’assemblèrent et vinrent supplier lemonarque de leur permettre d’être du nombre des juges, ce qu’il leur accorda;mais il leur dit que s’ils manquaient à faire justice, il la ferait lui-même.Coucy ayant été amené devant ses juges, le roi l’interrogea lui-même. Ayant étéconvaincu, il ne vit d’autre moyen pour tâcher d’éviter sa condamnation que dedemander à prendre conseil de ses parents. Cette grâce ne pouvait lui êtrerefusée. Aussi le roi la lui accorda et (ce qui est une preuve de la grandeurde sa maison et l’étendue de ses alliances) tous les barons se levèrent pour lesuivre. Quelque temps après, ils rentrèrent et Enguerrand à leur tête nia lefait et offrit de s’en justifier par le duel, en protestant contre la voie del’information qui, disait-il, ne pouvait avoir lieu, selon les lois du royaume,lorsqu’il s’agissait de l’honneur et de la personne des barons. C’était eneffet une procédure extraordinaire; mais le roi, qui voulait l’établir pourabolir l’usage du combat, répondit que la preuve du duel n’était pointrecevable à l’égard des églises et des gens sans appui; que, faute de trouverdes champions pour combattre les grands seigneurs, les petits resteraient dansune éternelle oppression et sans espérance d’obtenir justice. Le comte deBretagne, fameux depuis longtemps par ses révoltes, voulut insister:« Vous n’avez pas toujours pensé de même, lui répliqua le roi; vous devriezvous rappeler qu’accusé devant moi par vos barons vous me demandâtes que lapreuve se fit par enquête, le combat n’étant pas une voie de droit. »

C

ette fermeté fit trembler pour lecoupable; personne n’osa répliquer; on ne songea plus qu’à fléchir le monarque,justement irrité. Le roi ayant donné ordre aux barons de reprendre leurs placeset de donner leurs avis, il se fit un profond silence; tous se jetèrent auxpieds du roi, avec Coucy qui fondait en larmes, et implorèrent sa miséricordeému par leurs prières, ne croyant pas devoir mépriser les sollicitations detoute sa noblesse, touché de sa soumission, Louis laissa tomber un regard surle coupable: « Enguerrand, lui dit-il, si je savais certainement que Dieum’ordonnât de vous punir, toute la France, notre parenté même ne voussauveraient pas. » Ce discours mêlé de clémence et de sévérité calma lesvives inquiétudes de l’assemblée. On alla aux opinions: Coucy fut condamné àfonder trois chapelles, où l’on dirait des messes à perpétuité pour les victimesde sa cruauté; à donner à l’abbaye de Saint-Nicolas le bois fatal où le crimeavait été commis; à perdre, dans toutes ses terres, le droit de haute justiceet de garenne; à servir pendant trois ans à la Terre Sainte; enfin à une amendede 12 500 livres. Ceci se passa en 1256, et Enguerrand satisfit à tout, exceptéà aller servir contre les infidèles, dont il fut relevé en 1261, par le pape,de l’agrément du roi; mais il lui en coûta une autre somme de 10 000 francs, auprofit des chrétiens d’outre-mer. La  première amende à laquelle il avait été condamné servit à fonderl’hôtel-dieu de Pontoise, à bâtir les écoles et le dortoir des Jacobins deParis, et l’église des Cordeliers de Paris. Vingt-deux mille livres étaient unesomme très considérable en ce temps-là. Saint Louis n’en laissa depuis que 10000, par son testament, à Agnès, sa seconde fille, lorsqu’il partit pour lacroisade de Tunis où il mourut. Cependant le seigneur de Coucy fut bientôtdédommagé de toutes ces pertes. Marie de Mont-Mirel, sa mère, recueillit versl’an 1262 toute la succession de sa famille, et peu de temps après, cette mêmesuccession lui étant dévolue à lui-même, il se vit un des plus riches seigneursdu royaume. Il vendit néanmoins une partie de ce domaine, en 1272, à Guy de Dampierre,comte de Flandre, dont il reçut 20 000 livres pour les villes et châteaux deCrève-Coeur et d’Arleux et pour la châtellenie de Cambray, qui passèrent depuisau roi par acquisition. Enguerrand était alors marié avec Marguerite, filled’Othon III, comte de Gueldres, et de Marguerite de Clèves, dont il n’eut pasd’enfants. En sorte qu’après la mort de cette première femme il se remaria en1288 avec Jeanne, fille aînée de Robert de Béthune, comte de Flandre, et deYolande de Bourgogne, comtesse de Nevers; mais il n’eut point non plusd’enfants de celle-ci, et tous ces biens passèrent à ses neveux. Il mourut le20 mars 1311, et fut enterré à Long-Pont, auprès de Marie de Mont-Mirel, samère. Jeanne de Flandre, sa seconde femme, princesse d’un grand mérite et dontle génie était fort propre aux affaires, paraît avoir pris beaucoup de part auxguerres qui se rallumèrent de son temps entre les Français et les Flamands.Elle se retira après la mort de son mari auprès du comte de Flandre, son père;et lorsque, par le traité de paix qui fut conclu en 1320 entre les deuxnations, Marguerite fille du roi Philippe le Long fut donnée en mariage aujeune Louis de Nevers, son neveu et héritier du comté de Flandre, elle jura etsouscrivit au traité avec le père de ce jeune prince et Robert de Cassel, sesdeux frères. Elle se retira depuis en l’abbaye du Sauvoir, au pied de lamontagne de Laon, et y mourut abbesse le 15 octobre 1333. Enguerrand IV nelaissant point d’héritiers, tous ces biens devaient passer à Marie de Coucy,l’aînée de ses sœurs, ou à ceux qui la représentaient. Enguerrand %V eut,dit-on, pour parrain Enguerrand IV, son oncle maternel et fut élevé à la courd’Alexandre III, roi d’écosse, son cousin germain, qui le maria avec une de sesparentes nommée Chrestienne de Bailleul, qui succéda depuis au même AlexandreIII au royaume d’écosse, et qui avait été élevée comme Enguerrand dans le mêmeroyaume. Leurs noces furent célébrées en écosse avant l’an 1285, et ilsrepassèrent depuis en France où Enguerrand V eut pour son partage, à la mortd’Enguerrand IV, les seigneuries de Coucy, Marle et La Fère en Vermandois, Oisyet Havraincourt en Cambrésis, Mont-Mirel et Condé-en-Brie, Châlons-le-Petit, lachâtellenie de Château-Thierry, et l’Hôtel de Coucy à Paris. Ce partage futratifié par le roi Philippe le Bel au mois de juillet 1331. Enguerrand IVretint toute sa vie le nom et les armes de Guisnes; mais sa postérité repritcelui de Coucy, qu’elle a gardé jusques à la dernière héritière de cettemaison. La seule action mémorable qu’on lui trouve, c’est qu’il fut du nombredes seigneurs qui prirent ouvertement, l’épée à la main, en 1318, le parti deMahaud, comtesse d’Artois, et qui rétablirent cette princesse dans ses étatsdont on l’avait dépouillée l’année précédente. Il vivait encore en 1321, etétant mort peu de temps après, il fut enterré dans l’abbaye de Prémontré. Descinq enfants qu’il eut de Chrestienne de Bailleul, sa femme, Baudoin et unautre, dont on ne sait pas le nom, moururent jeunes; Guillaume, seigneur deCoucy, de Marle, La Fère, Oisy et Mont-Mirel, continua la ligne aînée;Enguerrand, seigneur de Condé-en-Brie, devint vicomte de Meaux et seigneur deLa Ferté-sous-Jouarre, de Tresme, de Belo et de Paurant, après l’extinction dela postérité de Jean de Guisnes, son oncle, et fit souche; enfin Robert futchantre de l’église de Cambray, seigneur du Chastellier, du Petit-Châlon et deCourcelles-en-Brie; et ayant partagé avec Enguerrand, son frère, la successionde Jean de Guisnes, il hérita de La Ferté-Gaucher, de Romeny, de Chamigny, deBoissy et de Dionay, qu’il céda depuis en tout ou en partie à Enguerrand VI.Guillaume épousa dès l’an 1311 Isabeau, fille de Guy III de Chastillon, comtede Saint-Paul, grand bouteiller de France; et en faveur de ce mariage,Enguerrand, son père, le mit en possession de la baronnie de Coucy dont il pritle titre, du vivant même de son père, et de la terre d’Oisy, sur laquelle futassigné le douaire de son épouse, en attendant qu’elle pût le prendre sur laseigneurie d’Havraincourt, dont jouissait alors Jeanne de Flandre, veuved’Enguerrand IV. Cette même année, Jeanne de Guisnes, comtesse d’Eu, disputa àEnguerrand et à Guillaume, son fils, la possession des terres de Coucy, d’Oisyet de quelques autres qu’elle prétendait devoir lui appartenir du chef deBaudoin de Guisnes, châtelain de Bourbourg, son père, fils aîné d’Arnoul III,comte de Guisnes. Les prétentions de cette dame donnèrent lieu à un grandprocès qui ne fut entièrement terminé que dix-huit ans après, au mois de décembre1329, par le roi Philippe de Valois. Et par l’arrêt qui fut prononcé à cesujet, la terre de Coucy demeura à Guillaume. Vers le même temps Alix, dame deMalines, sœur de Baudoin de Guisnes et d’Enguerrand V, étant morte, la mêmecomtesse d’Eu et le seigneur de Coucy se disputèrent encore cette succession.Mais en 1331, cette dame, le connétable de France son fils, et Blanche deGuisnes sa sœur, y renoncèrent en faveur de Guillaume, qui, étant mort peu detemps après, vers l’an 1335, fut enterré dans l’abbaye de Prémontré, auprèsd’Enguerrand V, son père. Guillaume laissa six enfants après lui quipartagèrent sa succession: Enguerrand VI, seigneur de Coucy; Jean qui eut lachâtellenie d’Havraincourt et qui ne laissa pas de postérité; Raoul, seigneur deMont-Mirel, qui hérita de La Ferté-Gaucher après la mort de Robert son oncle,chantre de l’église de Cambray, de la châtellenie d’Havraincourt après la mortde Jean son frère, de la terre d’Encre après la mort de Jacques de Saint-Paulson oncle maternel, de celles de Bailleul et de Hornoy après la mort d’Edouardseigneur de ces deux terres, et de celle de Romeny-sur-Marne, par la mort deMarie sa soeur. Il est souvent représenté dans l’histoire comme un des plusbraves seigneurs de son temps. Il épousa Jeanne, fille de Jean, comted’Harcourt et de Blanche de Ponthieu, comtesse d’Aumale, et en eut trois filset quatre filles: Enguerrand, mort sans postérité, seigneur de Mont-Mirel etd’Encre après son frère, évêque premièrement de Metz puis de Noyon; Guillaumemort sans postérité; Blanche, femme de Hugues %II, comte de Roucy et de Brainequi fut dame de La Ferté-Gaucher, qui hérita des terres de Mont-Mirel etd’Encre après la mort de Raoul son frère, et qui, étant mort le 24 février1411, fut enterré dans l’abbaye de Braine; Marguerite, femme de Guy de Neelle,seigneur d’Offemont et de Mello; Marie et Agnès. Les trois autres enfants deGuillaume, seigneur de Coucy, furent Aubert, seigneur de Dionay, près deMont-Mirel, qui épousa Jeanne de Villesavoir, dame de Droisy, dont il n’eut quedeux filles: Marie, femme premièrement de Gilles, seigneur de Mailly,secondement de Gaucher de Chastillon, seigneur du Buisson, enfin de Jean deLisac, huissier d’armes du roi; et Isabeau, femme de Raoul, seigneur deMareval. Aubert eut aussi un bâtard, nommé Aubert comme lui, que le roi Charles%VI légitima en 1398. Il est enterré avec Jeanne de Villesavoir, sa femme, dansl’abbaye de Nogent-sous-Coucy. Ses deux sœurs furent Marie, dame de Romeny etde Chamigny, morte sans postérité, et Isabeau, dont on ne sait rien. Isabeau,femme de Guillaume, seigneur de Coucy, vivait encore en 1351 et paraît avoirété inhumée dans le tombeau de son mari. Enguerrand %VI eut, après la mort deson père, les seigneuries de Coucy, Marle, La Fère, Oisy, Boissy, etc. Le roiPhilippe de Valois le maria en 1338 avec Catherine d’Autriche, fille de Léopoldet de Catherine de Savoie, petite-fille de l’empereur Albert Ier etarrière-petite-fille de Rodolphe Ier, aussi empereur. L’année suivante, EdouardIII, roi d’Angleterre, qui causa tant de maux à la France, ayant levé le siègede Cambray, par où il avait commencé la campagne du côté des Pays-Bas, attaquale château d’Oisy avec quinze cents hommes. Il y eut là un grand assaut; maisceux qui tenaient la place pour Enguerrand se défendirent si bien que lesAnglais se virent obligés d’abandonner l’entreprise. Ils se vengèrent néanmoinsbientôt sur les villes et châteaux de Saint-Gobain, Marle et Crécy-sur-Serre,où ils mirent le feu. Enguerrand fut un des seigneurs de France qui prirent leplus de part aux guerres de ce temps. Il alla joindre le roi en 1340, pour setrouver à la bataille qu’on devait livrer à Edouard, plutôt que de laisserprendre à ce prince la ville de Tournay qu’il tenait assiégée. En 1343, ilmarcha à la suite du duc de Normandie, héritier présomptif de la couronne, poursoutenir les prétentions de Charles de Blois sur le duché de Bretagne contreJean de Montfort. En 1345 et 1346, il était dans l’armée que le même duc menapour la même cause contre le comte de Derby, général de l’armée anglaise, et setrouva au siège d’Angoulême, mais il mourut peu de temps après, ou au plus tarden 1347, et ne laissa qu’un fils nommé Enguerrand VII, seul et unique héritierde ses biens sous la tutelle de sa mère. Celui-ci est le dernier seigneur de samaison qui ait possédé la terre de Coucy. C’est à lui que se termine l’histoiredes seigneurs de cette ville. Mais comme la gloire qu’il s’est acquise surpassecelle de tous ses prédécesseurs, on peut dire aussi que l’histoire de cesseigneurs ne pouvait finir d’une manière plus glorieuse. Il était dans sa plustendre enfance lorsqu’il perdit Enguerrand VI, son père. Catherine d’Autriche,sa mère et sa tutrice, veilla à son éducation, mais elle mourut de peste en1349, avec un seigneur allemand nommé Conrade de Médebourg qu’elle avait épouséen secondes noces; et Jean de Coucy, seigneur d’Havraincourt, oncle du jeunepupille, fut chargé de sa tutelle. D’un autre côté, le roi commit de sonautorité plusieurs seigneurs de marque pour le gouvernement et l’administrationde la baronnie de Coucy et de ses autres terres, jusqu’à ce qu’il eût atteintl’âge de majorité. Cependant, la funeste bataille de Poitiers ayant été suiviede la prison du roi, Enguerrand se trouva du nombre des seigneurs qui furentlivrés en otages aux Anglais en 1360, après que l’on eut traité de part etd’autre pour la rançon et pour la délivrance de ce prince. Il était alors dansla fleur de son âge, et le roi d’Angleterre, soit par la tendresse et l’amitiéqu’il conçut pour lui, soit aussi pour attacher à ses intérêts un jeune princequi eût été capable de nuire à la France s’il se fût déclaré contre elle, luidonna, outre la liberté, Isabelle sa seconde fille en mariage. Enguerrandpossédait déjà de grands biens en Angleterre où il jouissait des terres quiavaient appartenu autrefois à Chrestienne de Bailleul, femme d’Enguerrand V,son bisaïeul. Mais Édouard III y ajouta la baronnie de Bedfort, qu’il érigeapour lui en comté, et plusieurs autres revenus considérables dans la provincede Lancastre. Et le jeune comte de Soissons, Guy de Blois, qui était toujoursen otage à Londres pour le roi, ayant cédé en 1367 au roi d’Angleterre le comtéde Soissons pour le prix de sa liberté, Édouard ne le prit que pour engratifier sur-le-champ le seigneur de Coucy son gendre. Comblé de bienfaits etd’honneurs de la part d’un roi puissant qui avait voulu lui appartenir de siprès, il revint en France, et reçut à Paris au mois d’avril de l’an 1368 le ducde Clarence, son beau-frère, qui allait à Milan épouser la fille de GaléasVisconti. Au mois d’août suivant, il affranchit de mortemain et de formariageles habitants de sa terre de châtellenie de Coucy, c’est-à-dire, outre ceux deCoucy, les habitants de Fresnes, Noirmaisières, Landricourt, Neuville,Verneuil, Sorny, Folembray, Champs, Sernay, Troly, Dalmant, Vaussaillon,Crécy-sur-Nogent, Guiri, Courson, Dandelain, Bertaucourt, Monceaux-les-Leups,Vaudesson, Pont-Saint-Marc et Mareuil. Mais comme la guerre se ralluma aussitôtaprès entre la France et l’Angleterre, il se trouva embarrassé du parti qu’ildevait prendre. Sujet, allié et vassal par sa naissance du roi de France, ilregardait comme un crime de porter l’épée contre lui. Gendre et vassal d’unautre côté du roi d’Angleterre, il lui paraissait indigne de son sang de sedéclarer contre ce prince. Il jugea donc plus à propos de demeurer neutre danscette querelle, mais il ne voulut pas en être témoin; et comme il se présentaitailleurs de la gloire à acquérir, il prit congé du roi et porta ses armes ducôté de l’Italie. Depuis longtemps les Visconti, devenus maîtres de la ville deMilan, causaient beaucoup d’inquiétude, non seulement à divers seigneurs desétats voisins, mais encore aux papes sur les terres desquels ils faisaient tousles jours de nouvelles entreprises. Leur puissance s’était extrêmement accrue.Mais comme ils ne s’agrandissaient qu’aux dépens de plusieurs autres et qued’ailleurs les crimes les plus noirs ne leur coûtaient rien pour se maintenir,ils avaient aussi un grand nombre de puissants ennemis.

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rbain %V s’éleva contre eux avec plusde force qu’aucun de ses prédécesseurs. Il les excommunia, et cetteexcommunication fut bientôt suivied’une croisade, où divers seigneurss’engagèrent pour venger contre ces deux tyrans la querelle de l’égliseromaine. Enguerrand fut du nombre de ces seigneurs, et ne devint pas inutile nià Urbain V ni à Grégoire XI son successeur. Il s’avança d’abord vers la Savoie,où il fut reçu par le comte Amédée VI avec tous les honneurs qui lui étaientdus. Ensuite il poussa jusques à Milan même, dans le dessein apparemment desonder les deux frères Galéas et Bernabo et de négocier, s’il le pouvait, entrele pape et eux quelque accommodement. Ces deux seigneurs lui firent un assezbon accueil; mais si Enguerrand s’était proposé de les amener à la raison, il yréussit moins dans les conférences qu’il tint avec eux que par divers avantagesque ses troupes emportèrent en plusieurs occasions sur les leurs. Cette guerrefut longue. Enguerrand, qui avait d’autres vues, ne voulut pas la voir termineravant que de revenir en France. Après avoir taillé en pièces l’armée de Bernaboauprès de Bologne en 1373 et défait un autre corps de troupes que commandait lecomte de Vertus, fils de Galéas, assez près de Crémone, le duc de Savoie sejoignit à lui pour le siège de Plaisance qu’ils commencèrent ensemble, mais quele seigneur de Coucy abandonna lorsque le duc de Savoie, attaqué d’une violentemaladie, fut contraint de  l’abandonnerlui-même pour se faire transporter à Modène. Enguerrand trouva à son retour sesterres et ses châteaux en aussi bon état qu’il les avait laissés. Robert Knole,général des troupes anglaises, qui en traversant la Picardie avait ravagé toutle plat pays, avait défendu en même temps, par respect pour le roi son maître,de faire le moindre dommage [au pays] qui appartînt à ce seigneur; et sesordres furent fidèlement exécutés. Peu de temps après, en 1375, il leva unearmée considérable qu’il mena en Allemagne pour faire valoir ses droits sur lacouronne d’Autriche, qu’il prétendait lui appartenir du chef de Catherine samère. Après la mort de l’empereur Frédéric %III, les frères puînés de cetempereur et leurs descendants mâles s’étaient mis en possession de ce duché,parce que Léopold, leur aîné, n’avait laissé qu’une fille, mère d’Enguerrand,et qu’une fille ne  leur paraissait pasdevoir hériter à leur préjudice. Enguerrand, que cette raison ne persuadaitpas, se regardait comme le seul et unique héritier de  cette grande succession, et représenta plusieurs fois son droit àl’empereur de Bohême qui ne se pressa pas de lui faire rendre justice. Il crutdevoir se la faire rendre lui-même. La France et l’Angleterre étaient en trêvedepuis quelque temps; et le roi qui craignait l’oisiveté des gens de guerre etsurtout des Bretons qui commençaient à faire des courses et à causer dudésordre dans le royaume, permit au seigneur de Coucy d’emmener avec lui autantde troupes qu’il jugerait à propos pour son expédition et lui donna encore,soit en pur don, soit par forme de prêt, 60 000 francs pour l’aider dans cetteentreprise. Raoul de Coucy, son oncle, se joignit à lui, avec le vicomte deMeaux, le baron de Roye, Pierre de Bar et quantité de noblesse d’Artois, deHainaut et de Picardie; ce qui lui fit un corps d’armée dont il semblait devoirtout se promettre. Les Allemands et les Autrichiens trouvèrent le moyend’échapper à cette armée sans coup férir. Ils brûlèrent aux approchesd’Enguerrand trois journées de pays le long du Danube, et se retirèrent ensuitedans les montagnes et dans des lieux où il était impossible de les venirforcer. On était au cœur de l’hiver. Il n’y avait dans la campagne ni vivrespour les chevaux ni pour les hommes, et l’armée française y souffrit tellementqu’une grande partie en mourut. Le roi, pour le consoler de cette disgrâce, luitémoigna plus d’amitié que jamais. Sa famille, qui souffrait de le voir sebannir lui-même si souvent de sa patrie, pour un sujet qui devait même l’yretenir plus fortement attaché, gagna tant sur son esprit qu’il se déterminaenfin à embrasser le parti du  roicontre les Anglais. Il jura une fidélité entière à son prince, et les preuvesqu’il lui en donna ne furent point équivoques. Il renvoya en Angleterre laprincesse Isabeau, sa femme, et ne garda auprès de lui que Marie, l’aînée deses filles, car il en avait encore une autre, nommée Philippotte, qui n’étaitpoint sortie d’Angleterre où elle avait été élevée et nourrie. Celle-ci eut enpartage les biens qu’Enguerrand avait dans la province de Lancastre, et elleles porta en mariage à Robert de Veer, duc d’Irlande, comte d’Oxford, et GrandChambellan d’Angleterre, qui la répudia peu de temps après son mariage, et duvivant même d’Enguerrand VII, pour épouser une bohémienne, simple demoiselle dela reine. Cependant les conférences pour la paix entre les deux couronnes deFrance et d’Angleterre, commencées depuis longtemps, continuaient toujours, etEnguerrand fit, cette année et la suivante, plusieurs voyages de la part duroi, tant à Bruges qu’à Calais, ou à Boulogne, au sujet de cette négociationqui ne réussit pas. La guerre étant donc renouvelée, il alla premièrementjoindre en Guyenne l’armée victorieuse du duc d’Anjou, après que ce prince sefut rendu maître de la ville de Bergerac. Le roi de Navarre ne donnant pasmoins d’inquiétude à la France que les Anglais, Charles V l’envoya en 1378,avec le sieur de La Rivière, en Normandie pour réduire toutes les places decette province qui obéissaient au Navarrois. Enguerrand assiégea d’abord laville de Bayeux qui se rendit. Il s’empara ensuite de Carentan, Moulineaux,Conches, Passy, et toutes les places qu’il attaqua. Évreux et Cherbourgtenaient encore ferme; il n’était pas aisé d’en venir à bout. Enguerrand serra néanmoinsla première de si près qu’elle ouvrit enfin ses portes; et elle fut reçue àcomposition. Cette campagne fut très glorieuse pour le seigneur de Coucy, et cefut, selon toutes les apparences, peu de temps après son retour qu’il instituaun ordre de chevalerie, nommé de la Couronne, dont il est fait mention dansl’acte de la fondation des Célestins de Soissons, mais dont on sait fort peu dechoses d’ailleurs. Le premier sceau d’Enguerrand où l’on trouve des couronnesest de l’an 1379. Il y avait des dames et des demoiselles de l’ordre aussi bienque des écuyers et des chevaliers. Les princes du sang, du moins ceux qui ontpossédé dans la suite la terre de Coucy, n’ont pas cru qu’il fût au-dessousd’eux d’en être les chefs; et l’on a un sceau de Charles, duc d’Orléans, neveudu roi Charles VI, où ce prince est représenté à cheval, armé de toutes pièceset portant sous le bras droit l’ordre d’Enguerrand. Au reste, la couronne estrenversée dans le sceau du duc d’Orléans comme dans ceux de tous les chevaliersde cet ordre que l’on a vus. On ne sait si l’instituteur n’aurait pas eu en vuela perte qu’il avait faite de la couronne d’Autriche. Le roi, qui ne cherchaitque l’occasion de reconnaître ses services, n’attendit pas longtemps à luidonner de nouvelles preuves de son amitié et de son estime. Le connétable DuGuesclin mourut d’une maladie dont il fut attaqué au siège de Randon. C’étaitune perte pour la France et il s’agissait de la réparer. Le roi jeta les yeuxsur Enguerrand pour remplir ce poste, le plus important alors de tous ceux oùétaient attachés la fortune et le salut de la couronne. C’était, en effet, laplus grande marque de distinction qu’il pouvait recevoir de la main de sonprince. Mais il ne s’en laissa pas éblouir; il représenta sa jeunesse et sonpeu d’expérience; surtout il insista sur les affaires de Bretagne, et sur lenaturel des peuples de cette province dont il n’était presque point connu.  C’était là un point capital dans laconjoncture présente des affaires. Le roi avait confisqué depuis fort peu detemps la Bretagne sur le duc Jean de Montfort, et l’avait réunie à ses autresétats. Il fallait donc, pour la sûreté de ce nouveau domaine, un homme quiconnût parfaitement les Bretons et qui en fût connu. Enguerrand ne voyait entretous les sujets du roi qu’Olivier de Clisson qui eût, outre cette qualité,toutes les autres que l’on avait admirées dans le connétable Du Guesclin. Samodestie l’emporta à la fin sur la résolution que le roi avait prise, etOlivier de Clisson, qui résista à son tour comme Enguerrand avait fait, futquelque temps après obligé de céder. Par une espèce de dédommagement, le roivoulut qu’Enguerrand prît le gouvernement général de la Picardie; et comme surla fin de la même année il se sentit proche de sa fin, il le nomma avecplusieurs autres seigneurs pour servir de conseil aux princes qui devaientgouverner le royaume pendant la minorité de Charles VI, son fils. A peine leseigneur de Coucy eut-il le gouvernement de la Picardie que les Anglais, quiméditaient une irruption en France, descendirent à Calais, au mois de juillet,sous la conduite du comte de Buckingham. Enguerrand ne se mit pas fort en peined’inquiéter d’abord ce prince dans sa marche, parce que le roi avait mis toutecette frontière en état de ne rien craindre. Il ne voulut même pas engager aveclui aucune action importante. Mais comme il savait que le dessein des Anglaisétait de traverser la France pour aller en Bretagne joindre le duc Jean deMontfort, il rassembla toute la noblesse et les garnisons d’Artois et dePicardie; et avec ce puissant secours il se mit aux trousses de l’ennemijusques en Champagne, où il joignit le duc de Bourgogne. Ce fut peu de tempsaprès, et pendant qu’il était toujours à la poursuite des Anglais, que le roimourut au château de Beauté-sur-Marne, le 26 septembre 1380. Cette mort changeala face des affaires, et le duc d’Anjou, à qui le feu roi eût voulu ne donneraucune part au gouvernement, se vit néanmoins à la tête des affaires, et se fitdéclarer régent du royaume. Ce prince donna en cette qualité, ou ne fitpeut-être que confirmer, dès le 27 septembre suivant, la donation que Charles Vavait faite à Enguerrand de la châtellenie de Mortagne-sur-l’Escaut, entreValenciennes et Tournai, pour en jouir sa vie durant. Le 4 novembre de la mêmeannée, le nouveau roi fut sacré et couronné à Reims. Enguerrand assista, enqualité de haut-baron, à la cérémonie du sacre, et partit aussitôt après pournégocier un accord entre le roi et le duc de Bretagne. Ce duc avait envoyé des ambassadeursau roi pour demander la paix; et le duc d’Anjou, qui avait ses vuesparticulières, écouta volontiers les propositions qu’on lui en fit. L’affairene traîna pas en longueur: Enguerrand signa le traité au nom du roi, dès le 15janvier de l’année suivante. A son retour, le peuple de Paris, soulevé àl’occasion des impôts, poussa sa furie jusqu’aux derniers excès. Ceux quilevaient les droits du roi furent massacrés, les portes des prisons rompues, laville remplie de confusion et de désordre. Le roi était alors à Meaux avec leduc régent et les autres princes ses oncles; et le remède le plus prompt qu’ilspurent trouver à ce mal fut d’envoyer sur-le-champ à Paris le seigneur deCoucy, pour apaiser le tumulte. Ce seigneur avait naturellement de l’éloquence,et ce fut autant par ce noble talent que par la force des armes qu’il avaitsoumis au roi, sous le règne précédent, une partie des villes de Normandie quitenaient pour le roi de Navarre. Ce même talent lui concilia encore les espritsdes Parisiens révoltés; et il les amena jusqu’au point de promettre au roitoutes les semaines pendant un certain temps, au lieu de taxes et d’impôts, 10000 francs qui seraient employés à payer les gens de guerre.

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ers ce même temps, le seigneur deCoucy prit une seconde alliance avec Isabeau, fille de Jean Ier, duc deLorraine, et de Sophie de Wirtemberg, laquelle lui apporta en dot la seigneurie de Fleurines au pays de Liège,avec quelque somme d’argent. Il eut de ce mariage une fille unique, nomméeIsabeau, comme sa mère, qui épousa à Soissons en 1409 Philippe, comte de Neverset de Retel, fils puîné de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne.

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e roi, ayant pris la défense de Louisde Masle, comte de Flandres contre ses sujets rebelles, marcha en 1382 à sonsecours avec une puissante armée. Enguerrand, qui était de toutes les grandesexpéditions, ne manqua pas de se trouver à celle-ci. Cette campagne finie à lagloire du roi et du comte, il fallut recommencer l’année suivante à porter laguerre du même côté, tant contre les mêmes rebelles qui avaient repris lesarmes que contre les Anglais qui étaient venus à leur secours. Enguerrand, quiétait revenu à Paris avec le roi, et qui y avait été un des principauxministres de la vengeance de ce prince justement irrité contre cette villefactieuse, retourna aussi avec lui en Flandre, et eut part aux nouvellesconquêtes de cette année qui ne furent pas moins glorieuses à la nation quel’avaient [été] celles de l’année précédente. Pendant que le roi était ainsioccupé à dompter l’humeur intraitable des Flamands, le duc d’Anjou, qui avaitété adopté dès le mois de juin 1380 par la reine Jeanne de Naples, était passéen Italie pour conquérir ce royaume dont Charles de Duras s’était emparé; etEnguerrand, que le service du roi ne retenait plus en France, courut en 1384, àla tête de quinze mille hommes de troupes choisies, pour grossir l’armée de ceduc. Il attaqua dans sa route la ville d’Arezzo, et la prit après une forterésistance. La nuit même qui suivit cette prise, on lui annonça la mort du ducd’Anjou. Cette nouvelle qu’il ne voulut pas croire n’était que trop certaine:il lui restait, pour s’assurer cette première conquête, de se rendre maître dela citadelle, et il la serra de tout près. Peu de temps après, il n’eut plus lieude douter que le bruit de la mort du prince ne fût véritable, et après avoirfait un traité avec les Florentins, à qui il abandonna la ville, il revint enFrance.

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e roi, qui ne pouvait se lasser de lecombler de bienfaits, lui avait permis, peu de jours avant son départ,d’acheter la châtellenie de Beaurin pour en jouir sa vie durant; il le revêtitencore vers le même temps de la charge de Grand bouteiller de France que lamort du comte de Sarbruk avait laissée vacante; et quelque temps après, il luicommit la garde et la défense des frontières du royaume vers l’Auvergne et leLimousin et entre la Dordogne et la mer. Les Anglais inquiétaient toujours lamonarchie. Le malheur était que la France même servait de théâtre à l’animositédes deux nations; et il n’était pas possible qu’avec cet inconvénient sespropres avantages ne lui coûtassent pas trop cher. Il fut donc réglé dans leConseil en 1385 que l’on ferait un effort pour aller porter la guerre jusquedans le sein même de l’Angleterre; et le seigneur de Coucy fut marqué, avec leconnétable et le maréchal de Sancerre, pour commander l’armée que l’ondestinait à cette expédition. En 1386, pendant que l’armement naval duconnétable se préparait, le roi parut se disposer à passer la mer pour cevoyage; le seigneur de Coucy était à sa suite. L’année suivante il se rendit àHarfleur, où il s’arrangeait pour son départ, lorsque le duc de Bretagne, quiavait intérêt à rompre toutes les mesures que la France prenait de ce côté-là,se saisit en trahison de la personne du connétable. Une action de cette natureétait capable de lui attirer bien des affaires. Le roi fut aussi vivement piquéde cet affront que si l’attentat eût été commis en sa propre personne. Le duc,qui avait eu le temps de se repentir de ce qu’il avait fait, relâcha peu dejours après son prisonnier; mais il fallait une satisfaction au roi. Ce prince,néanmoins, qui s’était laissé ralentir sur ce sujet ne se hâtait pas del’exiger. Enguerrand pressa, sollicita, et n’eut point de repos que la résolutionn’en fût prise au Conseil. Outre qu’il avait à cœur l’offense faite à lamajesté  royale, le connétable et luiétaient amis jusqu’à se traiter de frères. Il fut donc député lui-même pourobtenir cette satisfaction et il y réussit, du moins en partie. Un autre pointd’honneur, mais d’une autre nature, obligea l’année suivante le seigneur deCoucy de prendre la route d’Allemagne, à la tête de quelques troupes.Guillaume, duc de Gueldres, avait eu la hardiesse de défier le roi, et de luienvoyer un héraut pour lui déclarer la guerre.

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ne partie du Conseil envisagea cettedéclaration comme une pure fanfaronnade et fut d’avis de la mépriser.Enguerrand insista et crut qu’il y allait de l’honneur du roi d’abattretellement l’orgueil de ce petit souverain que son châtiment pût servird’exemple à l’avenir, et qu’il ne prît plus envie à ses pareils de l’imiter. Leroi pencha de ce côté, et voulut marcher lui-même à la tête de son armée. Enguerrandfut envoyé à Châlons-sur-Marne pour disposer une partie des préparatifs decette campagne; mais la peur du duc épargna le sang de ses sujets. Le roi nefut pas plutôt entré dans son pays qu’il vint faire des soumissions, et qu’ilobtint sa grâce.

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nguerrand, qui conduisaitl’avant-garde de l’armée, avait eu ordre du roi, lorsqu’on fut arrivé auxArdennes, d’aller en Avignon vers le pape Clément, sans qu’on sache quel ait puêtre le sujet de sa commission. Mais à peine eut-il terminé cette négociationsecrète, qu’il revint joindre l’armée dans sa marche. A la fin de cettecampagne, lorsque le roi fut de retour à Paris, il obtint au mois de novembrepour sa ville de Coucy le privilège de deux foires par an. Cette ville avaitextrêmement souffert depuis quelque temps. Trois incendies de suite l’avaientpresque réduite en cendres; la mortalité avait rendu la campagne voisine toutedéserte; enfin les guerres continuelles avaient épuisé le peu qui y restaitd’habitants. Cette grâce que le roi leur accorda ne contribua pas peu à lesdédommager de leurs pertes; et insensiblement la ville et les environs serelevèrent de leurs ruines.

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’année suivante le roi, après avoirconclu une trêve de trois ans avec l’Angleterre, voulut visiter une partie deson royaume et commença par Avignon. Enguerrand fut du voyage et trouva danscette ville la reine de Naples et de Sicile, veuve du duc d’Anjou, qui le priad’accompagner le jeune roi, son fils, qui venait d’être sacré, jusques enEspagne où il allait pour épouser une des filles de Jean Ier, roi d’Aragon; àquoi il se prêta volontiers. Il ne fut pas plutôt de retour qu’il fut nommépour marcher à la suite du duc de Bourbon au secours des Génois contre lesmahométans d’Afrique; expédition qui, selon le témoignage d’un auteurcontemporain, quoique assez heureuse, l’eût été encore bien davantage si leseigneur de Coucy avait eu le commandement général de l’armée. Ce fut lui quiopina pour la levée du siège de Carthage, et son avis fut suivi. Les deuxcouronnes de France et d’Angleterre songeaient toujours à conclure un traité depaix qui pût être ferme et durable. Les ducs de Lancastre et d’York vinrentpour cet effet à la mi-carême, l’an 1392, jusques à Amiens, où toute la cour deFrance se rendit. Ils amenaient avec eux la princesse Philippotte, leur nièce,fille du seigneur de Coucy, qui eut la consolation d’embrasser son père qu’ellen’avait vu depuis fort longtemps. Mais cette paix, tant désirée de part etd’autre, n’aboutit qu’à une prolongation de trêve qui devait durer jusqu’à laSaint-Michel de l’année suivante. Le roi, pour profiter du relâche que cettetrêve lui donnait, pensa à tirer raison du duc de Bretagne dont il avait reçudepuis peu plus d’un sujet de mécontentement; et ce fut en cette occasion qu’iltomba pour la première fois dans cette espèce de frénésie qui eut des suites sifunestes pour tout le royaume. Une des premières suites de cette fâcheusemaladie fut la disgrâce du connétable de Clisson, dont les ducs de Berry et deBourgogne, maîtres absolus du gouvernement, poursuivirent à toutes forces ladéposition. Cette charge fut aussitôt offerte pour la seconde fois au seigneurde Coucy, qui ne voulut pas l’accepter non plus que la première; et sur sonrefus, les princes en revêtirent Philippe d’Artois, comte d’Eu, prince du sang.Les princes qui gouvernaient sous le nom du roi le députèrent, en 1393, à lacour de Savoie, pour pacifier les différends qui s’y étaient élevés au sujet dela régence et de l’administration de l’état pendant la minorité du jeune comteAmédée VIII; et en 1395, il se rendit encore à Gênes pour ménager les intérêtsdu duc d’Orléans sur la résolution que les peuples de cette république avaientprise de se donner au roi ou à quelqu’un des princes de son sang. Ce fut versle même temps qu’il prit possession de la ville de Savone au nom de ce prince,et que, celle d’Asti, qui lui avait été apportée en mariage par Valentine de Milan, s’étant révoltée en partie,il lui rendit le calme et la tranquillité. Mais Enguerrand, né pour combattretous les ennemis de la France et du nom chrétien, ne s’était point encoresignalé contre les Turcs. Cette gloire lui manquait uniquement pour couronnerune longue suite d’actions héroïques dont le récit seul fera toujours le plusbel éloge. Il en trouva enfin l’occasion sur la fin de ses jours, et il lasaisit avec ardeur. Philippe le Hardy, duc de Bourgogne, envoyait le jeunecomte de Nevers, son fils, à la tête d’une armée, contre Bajazet, à la prièrede Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, et il crut ne pouvoir mieux confierce jeune prince qu’entre les mains du seigneur de Coucy. Enguerrand ne balançapas beaucoup sur l’honneur que le duc de Bourgogne lui faisait. Cependant lezèle dont il se sentit animé le détermina encore plus à ne point reculer. Ilpartit donc au mois de mars de l’an 1396, avec toute l’armée composée de prèsde deux mille gentilshommes, suivis presque tous de l’élite de leurs vassaux,et visita en passant Galéas, seigneur de Milan, qui remuait contre les intérêtsde la France, pour le sommer de demeurer tranquille et de s’en tenir à sesanciennes alliances. Mais après la prise de quelques places, qui furentemportées en commun par les deux armées de France et de Hongrie qui s’étaientjointes, et une action assez considérable où le seigneur de Coucy tailla enpièces quinze mille ou vingt mille Turcs, toutes les espérances des chrétienss’évanouirent au siège de Nicopoli qu’ils avaient formé. Bajazet vint fondresur eux, et il ne resta de ces deux armées, ou plutôt de l’armée française, carcelle de Hongrie prit la fuite, que les principaux chefs qui furent à la fincontraints de se rendre prisonniers et que Bajazet semblait réserver aux pluscruels supplices. Enguerrand qui avait appuyé l’avis du roi (et ce fut pouravoir méprisé cet avis que la victoire demeura aux infidèles) fut du nombre deces derniers, et fut emmené à Bourse en Bithynie avec le comte de Nevers etquelques autres seigneurs. Mais le chagrin qu’il conçut de sa défaite et de saprison l’affaiblirent tellement qu’il en mourut le 18 février de l’annéesuivante. Avant que de mourir il avait ordonné, par son testament, que soncorps serait emporté en France pour être inhumé dans le monastère des Célestinsqu’il avait fondé en 1390, près de Soissons. On n’y transporta que son cœur, etle reste de sa dépouille fut enterré au lieu même où il avait fini ses jours.La comtesse de Soissons, sa femme, ne put, malgré tout son empressement, payerassez tôt la rançon que les Turcs exigeaient pour la délivrance de son mari.Deux ans après, elle tâcha de réparer cette perte par une  seconde alliance qu’elle contracta avecÉtienne de Bavière, père de la reine Isabeau, épouse de Charles %VI. Enguerrandlaissa de grands biens en France. Lorsqu’il mourut, il possédait le comté deSoissons et les terres de Coucy, Marle, La Fère, Origny, Ham qu’il avait achetédu vivant de sa première femme, Pinon, ancien domaine des seigneurs de Coucyqui était rentré dans ses mains, et Mont-Cornet en Thiérache; sans parler duvinage de Laon, d’une maison à Paris et d’une rente de 1 800 livres sur leTrésor royal. Marie, l’aînée de ses filles, avait épousé en 1389 Henry de Bar,[fils de Robert de Bar] et de Marie, sœur du roi Charles V, à qui elle avaitapporté en dot la terre d’Oisy; et perdit même son mari à la bataille deNicopoli où Enguerrand avait été fait prisonnier. Elle se porta d’abord pourhéritière de toutes ses terres, et s’en mit en possession. Mais Isabeau, sacadette, demanda partage et lui intenta un procès. Louis, duc d’Orléans, nenégligea rien pour l’engager à lui vendre la baronnie de Coucy qui étaitdevenue une des plus belles et des plus puissantes du royaume. Cent cinquante,tant villes que bourgs ou villages en dépendaient, outre les châteaux, lesforts et les étangs qui en faisaient partie. Marie se défendit longtemps; etses amis lui conseillèrent, pour se mettre à couvert des poursuites du ducd’Orléans, d’épouser le père de la reine, qui était veuf et qui reprit bientôtalliance avec la veuve même d’Enguerrand. Le duc d’Orléans la menaça de soncôté de marier Isabeau de Coucy, sa Cadette, à un de ses propres fils, etajouta que, par ce moyen, elle se verrait non seulement contrainte de relâcherune moitié entière de la succession, mais qu’on l’empêcherait bien encore dejouir de l’autre. Enfin, à force de menaces et de poursuites, il obtint cequ’il demandait. La baronnie de Coucy, c’est-à-dire Coucy, Folembray,Saint-Aubin, La Fère, Saint-Gobain, Le Chastellier, Saint-Lambert, Marle, Acyet Gercy lui furent vendus pour le prix de 400 000 livres, par contrat passé le15 novembre 1400, somme alors extrêmement considérable puisque peu de tempsauparavant le même duc d’Orléans, n’étant encore que duc de Touraine, n’avaitacheté le comté de Blois que 200 000 francs. Marie ne vécut pas longtemps aprèscette vente; elle ne toucha qu’une partie de son argent, et mourut cinq ans ouenviron après, en 1405, avec quelque soupçon de poison. Le procès qu’Isabeau,sa sœur, lui avait intenté continuait toujours, et était défendu de l’autrepart, quoique avec des vues différentes, par le duc d’Orléans et par Robert deBar, fils de Marie de Coucy. L’arrêt qui intervint à ce sujet est du 11 août1408. Il adjugea à Isabeau la moitié de Coucy, de Marle, de La Fère etd’Origny, le quart de Mont-Cornet et de Pinon, et la cinquième partie de Ham.Cette moitié de Coucy consistait apparemment en 200 000 francs qui restaient àpayer de la vente et que le duc d’Orléans, qui demeura seul et uniquepossesseur de ce domaine, fut condamné à remettre, non entre les mains deRobert de Bar, mais en celles d’Isabeau. Isabeau mourut trois ans après et nelaissa qu’une fille nommée Marguerite de Nevers qui mourut six mois après samère, en sorte que la succession d’Enguerrand, c’est-à-dire la portion que leduc d’Orléans n’avait point achetée, revint tout entière à Robert de Bar. Decelui-ci elle passa dans la maison de Luxembourg, et ensuite dans celle deBourbon, et fut enfin réunie au domaine de la couronne lorsque Henri IV montasur le trône. Ainsi tous les biens de la maison de Coucy retournèrent au roi àdeux diverses reprises: premièrement lorsque le duc d’Orléans succéda à CharlesVIII, sous le nom de Louis XII, et alors le domaine fut augmenté de tout ce queMarie de Coucy avait vendu au duc d’Orléans; secondement lorsque Henri IVsuccéda à Henri III; et alors le domaine fut encore accru non seulement dureste de la succession d’Enguerrand %VII, mais encore de toute celled’Enguerrand, vicomte de Meaux, troisième fils d’Enguerrand %V. Depuis cetemps, la terre de Coucy n’a plus été démembrée de la couronne;  elle a seulement fait quelquefois partie desapanages de nos princes. C’est sous ce titre qu’elle a appartenu autrefois àClaude de France, fille de Louis XII, ensuite à François de Valois, fils deCharles, bâtard de Charles IX et de Marie Touchet, enfin à Philippe de France,duc d’Orléans, frère unique de Louis XIV, dont le petit-fils Louis d’Orléans,premier prince du sang, en était, dans ce temps, en possession. On n’a pointparlé de quelques naissances illustres dont la ville de Coucy a été honorée:une fille de Louis %Ier, duc d’Orléans, tenue sur les fonts du baptême par leduc de Gueldres, y naquit en 1401; et César, duc de Vendôme, bâtard d’Henri %IVet de Gabrielle d’Estrées, en 1594. Le duc d’Orléans avait fait ériger pour luiet ses descendants mâles à perpétuité, dès l’an 1405, la terre de Coucy enpairie par le roi Charles VI, son frère. Mais après qu’il eut été assassiné parle duc de Bourgogne, Charles duc d’Orléans, son fils, contre qui le roi s’étaituni avec le meurtrier, ne la garda pas longtemps. Valeran de Luxembourg, comtede Saint-Paul, vint l’assiéger au nom du roi en 1411, et Enguerrand deFontaines, qui commandait dans la ville pour le duc d’Orléans, se renditsur-le-champ sans coup férir. Le comte de Saint-Paul n’eut pas à beaucoup prèssi bon marché de Robert d’Esne, gouverneur du château. Celui-ci, sommé de serendre, répondit qu’il avait juré fidélité au duc d’Orléans, son maître, etque, sans un ordre exprès de sa part, il se défendrait jusqu’à l’extrémité. Laplace était abondamment pourvue de munitions et de vivres. Plusieursgentilshommes de cœur s’y étaient jetés, dans la résolution d’y périr auservice de leur prince. Le gouverneur espérait de pouvoir tenir assez longtempspour voir le duc d’Orléans reprendre le dessus dans l’esprit du roi! Le comtede Saint-Paul l’attaqua dans les formes, et fit attacher le mineur à la portede la Basse Cour que l’on nommait alors la porte de Maître Odon. C’était, à cequ’on prétend, un des plus forts édifices qui fussent à vingt lieues à la ronde. La mine joua et eut son effet; maisles assiégeants n’en furent guère plus avancés, parce que le mur qui était ducôté des assiégés demeura dans son entier. Après une résistance d’environ troismois il fallut capituler. On donna au gouverneur 1 200 écus ou environ pour sesfrais, et cette prise valut au comte de Saint-Paul l’épée de connétable deFrance que le roi ôta à Charles d’Albret pour l’en gratifier. Gérardd’Herbannes fut établi gouverneur de Coucy à la place de Robert d’Esne qui seretira avec sa garnison, partie à Crève-Coeur, et partie au Cateau-Cambrésis.

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eux ans après, c’est-à-dire en 1413,après le traité de paix apparent qui fut conclu entre les deux maisonsd’Orléans et de Bourgogne, Coucy fut rendu au duc d’Orléans, mais en 1419, aumois de février, un ou deux domestiques de Pierre de Saintrailles, qui ycommandait pour le prince, ayant traité en secret avec quelques prisonniersbourguignons, poussèrent la trahison jusqu’à assassiner leur maître; et laplace rentra sous la puissance du duc de Bourgogne. Le célèbre La Hire, quiétait dans la ville avec quantité de bons soldats, courut à l’alarme et fittous ses efforts pour reprendre le château, mais, n’ayant pu réussir, il fitpasser au fil de l’épée soixante prisonniers qui se trouvèrent dans les prisonsde la ville, et se retira vers Guise. Le duc de Bourgogne ne jouit paslongtemps de cette conquête. Il fut assassiné la même année, et, aussitôtaprès, le même La Hire et Pothon de Saintrailles reprirent pour le ducd’Orléans quelques places en Picardie, du nombre desquelles fut Coucy.Cependant cette place, qui dans ces temps de désordre et de confusion semblait être destinée à suivre alternativementla fortune des deux partis, passa encore en 1423 entre les mains desBourguignons. Ce fut le comte de Suffolk qui l’assiégea à la tête de sesAnglais et qui s’en rendit maître après quelques jours de siège. Charles VII,qui venait de succéder au roi son père, eut enfin le bonheur, après plusieurspertes considérables, de chasser les Anglais de ses états, et de réunir même laGuyenne à la couronne. Mais l’histoire ne marque pas de quelle manière, ni enquel temps, la ville de Coucy se rangea sous son obéissance. On sait qu’il enfut maître pendant quelque temps, puisqu’il y établit un grenier à sel; qu’illa reperdit ensuite, et que vers l’an 1441 elle repassa encore sous sadomination. En 1487, sous le règne de Charles VIII, pendant que le ducd’Orléans, mécontent de la cour, était retiré dans les états du duc deBretagne, Pierre d’Urfé, grand écuyer de France, s’empara de cette place aprèshuit jours de siège, et cette prise ne fut pas le coup le moins important decette campagne, parce qu’on appréhendait que le gouverneur n’y reçût destroupes de l’archiduc d’Autriche, qui eussent extrêmement incommodé leVermandois, et que d’ailleurs le duc d’Orléans ne pouvait manquer d’ensouffrir. En 1652, la ville de Coucy se ressentit plus qu’aucune autre destroubles domestiques et de la guerre civile que le ministère du cardinalMazarin et le mécontentement des princes avaient excités dans tout le royaume.Le commandant de cette place, nommé Hébert, était devenu suspect au cardinalqui l’envoya sommer, dès le commencement du mois de mai, de la remettre entreles mains du maréchal d’Estrées, gouverneur de Laon. Hébert répondit qu’il latenait immédiatement du roi Louis XIII pour récompense de ses services; que,l’ayant toujours gardée fidèlement, il ne croyait pas que Sa Majesté l’envoulût dépouiller; qu’à moins qu’il ne vit des ordres plus exprès, il était résolu de s’y maintenir; qu’enfin il nes’y passerait rien sous ses ordres contre l’obéissance due à Sa Majesté. Sur cerefus, le maréchal fit d’abord avancer quelques troupes pour investir la place,et le sieur de Manicamp, gouverneur de La Fère, s’étant joint à lui avec sixpièces de canon tirées de La Fère et de Péronne, ils en formèrent conjointementle siège le 10 du même mois. La batterie fut dressée contre les murailles de laville; il y eut bientôt une brèche considérable. Malgré cet avantage, cinqjours entiers se passèrent sans que les assiégeants puissent entrer dans laville, retenus par la fière contenance des assiégés qui paraissaient résolus àtout plutôt que de lâcher pied. Ils se retirèrent à la fin dans le château,avec leurs meilleurs effets, et les troupes du roi se répandirent dans laville. Pour assurer cette conquête, il fallait se rendre maître du château. Cen’était pas l’affaire d’un jour, et les affaires changèrent bientôt de face. L’avant-gardedes troupes lorraines, qui avaient leurs quartiers aux environs de Reims et deSoissons, s’avança, dès le 22, au nombre de huit cents chevaux et de mille deuxcents fantassins, à un quart de lieue des assiégeants, et la cavalerie, ayantcommencé l’attaque par le quartier où commandait Manicamp, elle défitentièrement le régiment de Piémont et une bonne partie de celui qui avait étécomposé tant des garnisons voisines que des nouvelles levées faites pour cesiège. Ce premier échec épouvanta les assiégeants qui prirent aussitôt la fuiteet se sauvèrent en désordre dans la forêt prochaine. Ils abandonnèrent ainsi laville aux Lorrains qui s’en rendirent maîtres le 28 du même mois, et qui enconservèrent le commandement à Hébert. Cependant, le 14 septembre suivant, laville et le château furent rendus au roi. Le cardinal Mazarin envoya aussitôt,pour démolir la place, un ingénieur nommé Metezeau (fils de celui qui fit ladigue de La Rochelle), et qui, par des mines, en fit sauter les principales pièces.Depuis ce temps-là, les ruines se sont considérablement augmentées. Le derniertremblement de terre qui arriva en France, le 18 septembre 1692, fendit du hauten bas la grosse tour. Les autres subsistent dans leur entier, mais les voûtes,qui formaient plusieurs étages d’appartements, se sont écroulées pour laplupart. Ce château célèbre, qui était il y a cent ans une des merveilles de laFrance et peut-être la place du royaume la plus imprenable, n’est plus qu’untriste monument de la magnificence de ses anciens seigneurs.