Histoire
du château de Coucy / Saint-Just[chanoine Jean Jovet]
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château de Coucy est bâti à l’extrémité
de la ville, au couchant. Ses murailles se joignent en dehors à celles
de la ville, mais en dedans pour aller de la ville au château, il
y avait autrefois une grosse muraille fort élevée, de pierre
dure, dont il reste encore plusieurs vestiges, qui en faisait la séparation.
Au milieu de cette muraille était la première porte d’entrée
qui conduisait dans une cour spacieuse, au fond de laquelle on trouve à
main droite le château. C’est un carré irrégulier, fortifié
à chacun de ses angles d’une très belle tour. L’entrée
en est entièrement ruinée. C’était un pont sur cinq
piliers, qui soutenaient un pareil nombre de portes par lesquelles il fallait
passer avant que d’arriver au château. Entre les deux tours d’entrée
à main gauche est bâtie cette fameuse tour qui n’a point d’égale,
ni pour sa hauteur, qui est de cent soixante-douze pieds, ni pour la circonférence
qui en a trois cent cinq. Cette tour est sans communication avec le château
et on n’y entrait que par un pont-levis. Pour la garantir contre toute attaque
on avait élevé tout autour une forte muraille de dix-huit
pieds d’épaisseur et de pierre dure; c’est ce qu’on appelait la
chemise de la Tour. Mais le cardinal Mazarin, après le siège
de l’an 1652, la fit sauter.
ous
les ingénieurs conviennent qu’avant l’usage de la poudre, cette tour
était absolument imprenable. Rien de remarquable dans les appartements
de ce château, qu’une grande salle à quatre cheminées,
que les premiers ducs d’Orléans avaient ornée de différents
morceaux d’architecture. Il reste quelques souterrains aussi beaux que s’ils
venaient d’être construits. L’on prétend qu’il y en avait autrefois
qui s’étendaient à plus d’une demi-lieue dans la campagne,
mais l’entrée en est perdue. Le bailliage est de toute antiquité,
il n’est pas possible d’en dire au juste l’érection. La terre de
Coucy nous est connue dès le règne même de Clovis Ier,
après le baptême de ce prince, c’est-à-dire dès
le commencement du VIe siècle au plus tard. Les habitants de ce lieu,
c’est-à-dire le village car la ville ou le château ne subsistaient
pas encore, chargés de taxes et de subsides, eurent recours à
saint Remy, archevêque de Reims, et prièrent ce prélat
de demander au roi, pour lui et pour son église, le transport de
tous les droits qu’ils étaient obligés de payer au domaine.
Ils espéraient par ce moyen voir diminuer leurs contributions; et
comme l’évêque obtint cette grâce du roi avec le consentement
des principaux seigneurs de la nation, il y a lieu de croire qu’ils ne furent
point trompés dans leur attente. Ce fut aussi, selon toutes les apparences,
pour cette raison que saint Remy, qui ne garda presque rien de toutes les
terres que Clovis lui avait données, et qui en faisait des libéralités
à d’autres églises, retint cependant pour lui celle de Coucy.
C’est presque tout ce que l’antiquité nous apprend de ce lieu. On
sait de plus que Coucy faisait alors partie de la terre de Mège,
terre dont il ne reste aujourd’hui aucune connaissance; que saint Remy eut
la possession de l’une et de l’autre jusqu’à sa mort; et que par
son testament il les légua à son église.Au commencement
du Xe siècle, Hervé, archevêque deReims, fit bâtir
une forteresse à Coucy. Les factions qui divisaient le royaume au-dedans
et les courses des barbares qui le désolaient au-dehors, rendaient
alors cette précaution nécessaire. Dans ces temps de trouble
et d’agitation, les seigneurs particuliers se fortifiaient presque tous
dans leurs terres, soit pour se rendre plus redoutables à leurs voisins,
soit aussi pour se mettre à l’abri de leurs insultes. Cette forteresse
fut construite sur une montagne voisine au midi du village, et elle paraît
avoir donné naissance à la ville. Après la mort de
Séulfe, successeur d’Hervé, qui arriva en 925, Herbert II,
comte de Vermandois, obtint du roi Raoul et du pape Jean X l’archevêché
de Reims pour un de ses fils, nommé Hugues, âgé de près
de cinq ans; et comme le bas âge de ce jeune prince ne lui permettait
pas de prendre soin par lui-même du spirituel et du temporel de son
église, le comte, son père, eut l’administration de tous ses
revenus et le château de Coucy tomba ainsi entre ses mains. Cependant,
Roger, comte de Laon, mourut et laissa un fils nommé Roger
comme lui. Herbert jeta les yeux sur ce comté vacant et le demanda
pour un autre de ses fils nommé Eudes. Mais le roi en favorisa le
jeune Roger. Iln’en fallait guère davantage au comte de Vermandois
pour se soulever contre son prince: il leva l’étendard et prit des
mesures pour s’emparer de la ville de Laon; mais il fut prévenu par
le roi qui, ayant mis des gens de guerre dans la place pour la garder, la
visita lui-même, et en laissa la défense à Roger et
à ses frères. Ceux-ci, pour se venger du comte Herbert, firent
une sortie en 927et ravagèrent tous les lieux voisins de Coucy. Il
ne paraît pas qu’ils aient fait aucune tentative pour se rendre maîtres
de la place. Trois ans après, elle appartenait encore au comte Herbert
qui en donna la garde à un nommé Anseau,vassal de Boson, frère
du roi Eudes, en récompense du château de Vitry en Pertois,
que cet Anseau avait remis entre ses mains.
uelque
temps après, en 934, Herbert étant mort et le roi Louis d’Outremer
ayant amené à Laon le jeune Richard, duc de Normandie, Osmond,
gouverneur de ce prince, trouva moyen de le tirer de cette prison en le
cachant dans une botte de foin, et l’emporta jusqu’au château de Coucy
qui venait de passer en la puissance de Bernard, comte de Senlis, oncle
maternel du jeune prisonnier, et cousin issu de germain de l’archevêque
Hugues. Ainsi l’église de Reims se voyait insensiblement dépouiller
de cette partie de son domaine; et, quelques efforts qu’elle ait faits depuis
pour y rentrer, elle s’est vue à la fin contrainte de succomber à
la force et de renoncer à un bien qu’elle avait possédé
jusque-là à si juste titre. On ne sait pas si Bernard fut
maître de Coucy jusqu’à sa mort. Quoiqu’il en soit, Hugues
le Grand, comte de Paris, et Thibaut, comte de Tours et de Chartres, y commandèrent
après lui, et y partagèrent ensemble leur autorité.
Ils appartenaient tous deux de fort près à Hugues de Vermandois,
à qui Artaud, moine de Saint-Remy, disputait alors l’archevêché
de Reims: le premier était son cousin germain, et le second son beau-frère.
Mais comme ces deux princes soutenaient les intérêts de leur
parent contre Artaud, Louis d’Outremer, qui les avait pour ennemis, assiégea
Reims qu’il emporta, et ayant rétabli Artaud sur son siège,
il contraignit, en 949, Hugues et Thibaut de remettre le château de
Coucy entre les mains de cet évêque. Eudes, fils du comte de
Thibaut, ne laissa pas à ses descendants laseigneurie de Coucy; divers
chevaliers l’ont tenue après lui, jusque sur la fin du règne
de Henri Ier. Mais on ne sait pas de quelle maison ils étaient.
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fut sous l’un de ces seigneurs inconnus qu’aussitôt après la
mort du roi Robert, ceux de Coucy se révoltèrent contre Henri
Ier, leur légitime souverain, par les intrigues de la reine Constance
en faveur de Robert, frère du roi, que sa mère voulait élever
sur le trône, au préjudice de Henri. Enfin, sur la fin du règne
de ce même Henri, on trouve un Albéric, seigneur de Coucy,
en 1059, et cet Albéric paraît être la tige de lapremière
race des seigneurs de cette ville. Albéric est connu par une charte
del’an 1059 par laquelle il paraît que son dessein était de
former un monastère àNogent, au bas de la montagne de Coucy.
Il s’était adressé pour ce sujet àElinand, évêque
de Laon, avec Adèle son épouse, Mathilde sa mère, Tiezzonchâtelain
de Coucy, et quelques autres seigneurs ou chevaliers de sa suite quiavaient
du bien à Nogent, et qui le consacrèrent tous à ce
dessein. Albéric yajouta du sien et fit donation de tous ses droits
et de tout ce qu’il possédaitau village de Landricourt. Enfin, l’évêque
de Laon confirmant cette donationexempta l’église de Nogent de toute
redevance envers lui et ses successeurs, eten fit ce que l’on appelait alors
une église libre, privilège que le roi Henriconfirma la même
année par le même acte. L’abbaye de Nogent ne fut entièrementsur
pied que plusieurs années après la sanglante bataille de Cassel
entrePhilippe Ier, Robert le Frison, comte de Flandre, et Richilde, comtesse
deHainaut, [qui] se donna au mois de février 1072. Si Albéric
ne s’y trouva pasen personne, on sait du moins qu’en cette action, ceux
de Coucy faisaientpartie de l’armée de Philippe Ier, et ce ne fut
encore que quelques annéesaprès cette bataille, c’est-à-dire
vers l’an 1076, que la fondation de Nogentfut conduite en sa perfection.
Cette abbaye fut bâtie à un quart de lieue et aumidi de la
ville, sur la rive droite de la petite rivière d’Ailette et dans
unfond où l’on découvrit une quantité prodigieuse de
cercueils remplis d’ossementset disposés de manière qu’un
de ces cercueils faisait centre de plusieursautres qui se trouvaient rangés
autour en forme de cercle sans que l’on putdistinguer, à aucune marque
certaine, si c’était un cimetière de chrétiens oud’idolâtres.
On tira pour remplir l’abbaye de Nogent six religieux de celle deSaint-Remy
de Reims et Henri qui, outre cette dernière abbaye, possédait
encorecelle d’Homblières les assista aussi de son côté.
Enguerrand paraît avoir étéle petit-fils d’Albéric,
fondateur de l’abbaye de Nogent. Son père s’appelaitDreux de Boves
ou de Coucy, car les historiens lui donnent également ces deuxnoms.
Celui de Coucy lui appartenait de droit et par sa naissance, et celui deBoves,
qui est un ancien château assez proche de la ville d’Amiens, peut-êtrepar
la même raison, peut-être aussi du chef de sa femme qui pouvait
lui avoirapporté cette terre en mariage. Quoi qu’il en soit, Boves
était alors une placetrès forte, et presque imprenable, et
tenait encore rang du temps de saintLouis parmi les plus grandes baronnies
du royaume. Dreux, de sa femme, dont onignore le nom, mais qui pourrait
avoir été du sang des comtes d’Amiens, a euquatre enfants:
Enguerrand, Robert, Anseau et Mathilde qui n’est guère connueque
par son nom. Enguerrand fut l’aîné de tous. Sa mémoire
est devenue célèbredans l’histoire et sa postérité
s’éleva par sa noblesse et par sa puissance àun si haut point
de splendeur que non seulement elle ne vit guère au-dessusd’elle
que la seule famille royale, ce qui était commun à bien d’autres
maisonsen France, mais qu’elle eut même des prétentions sur
la couronne d’Autriche etqu’elle pensa se voir assise sur le trône
même de ses rois. Robert fut letroisième de ce nom, seigneur
de Péronne du chef d’Adélaïde sa femme, fille de Robert%Ier.
Il fut aussi seigneur de Capy, sur la Somme, et mourut le 5 août entre1106
et 1109. Anseau embrassa d’abord l’état ecclésiastique, mais
il fut aussimarié et eut un fils nommé Robert de Cais, du
nom d’une terre qui appartenait àsa famille, et que son père
Anseau, conjointement avec Robert son oncle etMathilde sa tante, donnèrent
au monastère de Lyons. Robert de Cais vivaitencore en 1138. Dreux,
père de ces quatre enfants, et aïeul de Robert de Cais,fut d’abord
appelé de Parpes, du nom d’une terre qui lui appartenait sans douteet
qui est peut-être le village de Parpes, en Thiérache. C’est
sous ce nomqu’il est connu dans l’histoire, lorsque Gautier III, comte d’Amiens,
quis’était emparé à la faveur du roi Robert de la vicomté
de Corbie, lui entransporta le titre et la jouissance. Vers le même
temps, Enguerrand transigeaavec l’abbé et les religieux de Corbie
touchant l’avouerie et la vicomté de cemonastère. L’acte de
cette transaction est du 23 février 1079, c’est-à-dire1080,
et Enguerrand n’y est encore appelé qu’Enguerrand de Boves. Dans
la suiteon le trouva quelquefois appelé du nom de La Fère,
seigneurie dont il jouissaitapparemment du chef de sa femme; mais il prit
plus communément le surnom deCoucy ou le titre de comte d’Amiens.
Outre les grands fonds de terre qu’ilpossédait, l’alliance qu’il
avait contracté dans la maison de Roucy avec Ade,fille de Letard
de Roucy, héritière de Marle et, selon toutes les apparences,de
La Fère, éleva sa maison jusqu’à l’honneur de toucher
de fort près à cellede Baudouin de Bourg, roi de Jérusalem.
Il eut de ce mariage, dont la daten’est pas connue, un fils nommé
Thomas qui prit au commencement le surnom de LaFère et ensuite celui
de Marle, comme héritier de sa mère. Cette femme ne vécutpas
sans de violents soupçons de galanterie et Thomas de Marle en souffrit.
Sonpère, qui ne croyait l’être que de nom, conçut tant
d’aversion contre lui,qu’il prit la résolution de le déshériter.
Plein de la haine qu’il lui portaitet avec autant de passion qu’il avait
d’ailleurs pour le sexe, il fit uneseconde alliance après la mort
d’Ade de Marle; mais son malheur voulut quecette seconde femme fut encore
pire que la première. Cette femme adultère etincestueuse,
car les crimes de ce genre ne lui coûtaient rien, s’appelaitSibylle
et était fille de Roger, comte de Château-Portien, qui avait
déjà eudes enfants d’un premier lit. Les belles-mères
savent distinguer entre lesenfants qui n’appartiennent qu’à leurs
maris et ceux qui leur appartiennent encommun. Celle-ci ne démentit
point son caractère et Sibylle emporta, àl’exclusion de ses
aînés, le comté de Château-Portien que Roger lui
donna à lapersuasion de sa mère en la mariant à Godefroy,
comte de Namur. Ce prince étaitillustre entre les premiers princes
de l’Empire, et Enguerrand lui était assezprès allié.
Une guerre qui lui survint peu d’années après son mariage
obligeaSibylle de venir faire quelque séjour au château du
Tour en Portien oùEnguerrand, qui était encore veuf, eut l’occasion
de la voir souvent. Sibyllese plaignit à lui de la longue absence
de son mari, non pas que Godefroy luitint fort à cœur par lui-même,
mais parce qu’il s’était allumé dans ses veinesun feu, dont
elle se mit si peu en peine d’arrêter les progrès qu’elle était
même alors enceinte d’un autre que de lui.Enguerrand, qui n’entendit
que trop bien ce que ces plaintes signifiaient,s’offrit de lui tenir lieu
de mari quand elle voudrait. Sibylle n’était pasd’un tempérament
à refuser, et comme elle ne cherchait que l’occasion et lesmoyens
de satisfaire sa passion sans s’inquiéter de ce qui pourrait en arriver,elle
accepta la proposition et se retira toute enceinte qu’elle était
versEnguerrand qui la retint pour épouse. Un mariage aussi uniforme
que celui-là nepouvait manquer de faire de l’éclat, et les
suites en furent bien tragiques.Godefroy ne put soutenir l’affront de se
voir enlever sa femme: Enguerrandétait homme à ne la rendre
qu’à la pointe de l’épée. Sibylle, de son côté,
nevoulait plus retourner auprès de son premier mari, et après
la démarchescandaleuse qu’elle venait de faire il n’y avait pas trop
de sûreté pour elle àprendre ce dernier parti. Il fallut
donc s’attendre à une guerre ouverte entreces deux seigneurs, et
elle fut soutenue de part et d’autre avec ladernière
animosité.
ans
ces premiers temps de latroisième race, les seigneurs particuliers
se faisaient impunément la guerreles uns aux autres; et nos rois
ou n’étaient pas assez puissants pour s’opposerà ces troubles
intestins ou trouvant leur compte à voir diminuer les forces etla
puissance de leurs vassaux, ils demeuraient simples spectateurs de leursquerelles,
et ne s’en mêlaient eux-mêmes que lorsqu’elles touchaient de
près àleur personne ou à la sûreté de
l’état. Godefroy et Enguerrand armèrent doncl’un contre l’autre,
et en vinrent aux dernières extrémités. Leur fureur
ne fitquartier ni aux hommes ni aux terres. Ravages, meurtres,
incendies: rien ne fut épargné. Tous ceux duparti de Godefroy
qui tombaient entre les mains d’Enguerrand étaientsur-le-champ mis
à mort; et Godefroy ne faisait pas un meilleur parti aux gensd’Enguerrand:
on leur crevait les yeux ou on leur coupait les pieds; la potenceétait
leur plus doux supplice; en un mot le comté de Château-Portien,
qui futle principal théâtre de cette guerre, fut tout ensanglanté
de ces exécutions etil en porta des marques qui durèrent encore
longtemps après.
u
milieu de tant de désolations, cequ’Enguerrand avait le plus à
craindre était le zèle des évêques pour les loiset
pour la discipline de l’église. Les canons y étaient formels,
et sil’excommunication eût été lancée il n’y
avait aucun lieu de douter que ce coup,plus sûr que les armes de Godefroy,
ne dût infailliblement entraîner après soila séparation
d’Enguerrand et de Sibylle. Le roi Philippe Ier lui-même, dans uncas
tout à fait semblable, se vit obligé vers le même temps,
et malgré toute sapuissance, de renoncer à Bertrade de Montfort.
Cependant la première croisadeavait été prêchée
en France avec tout le succès que l’on en pouvait attendre etThomas
de Marle s’était embarqué pour la Terre Sainte au mois d’avril
1096, àla suite de Hugues le Grand, comte de Vermandois, frère
du roi Philippe Ier,soit par motif de religion, soit pour éviter
la présence d’un père qui lehaïssait, soit parce que
deux de ses plus proches parents, Baudoin Ier, comtede Hainaut, et Baudoin
du Bourg, qui avaient entrepris ce même voyage,l’engagèrent
à l’entreprendre avec eux. Il partit pour cette expédition
et sedistingua entre tous les autres croisés, surtout aux sièges
de Nicée et deJérusalem, où il signala son courage
en plus d’une occasion. Après la conquêtede cette dernière
ville et l’établissement du nouveau royaume qui en prit lenom, Thomas
ne paraît plus dans la suite de l’histoire d’Orient. L’amour de lapatrie
l’emporta sur lui comme sur une infinité d’autres qui se contentèrentd’avoir
affranchi les lieux saints de la tyrannie des infidèles, sans se
croireobligés de pousser plus loin leurs conquêtes, ou de ne
contribuer à l’affermissementd’un trône qui ne devait sa naissance
qu’à leur valeur. Dès qu’il fut de retouren France, il pensa
à un second mariage. Il était veuf alors d’Yde, sa premièrefemme;
peut-être l’était-il même dès le temps qui précéda
son voyage pour laTerre Sainte, car on ignore absolument le jour et l’année
qu’elle mourut; onignore même le temps qu’elle avait épousé
Thomas de Marle. Yde était filleaînée de Baudoin, comte
de Hainaut, et d’Yde de Louvain; et Thomas de Marle enavait eu deux filles:
Yde ou Bazilie qui épousa en premières noces Alard deChimay,
l’un des pairs du comté de Hainaut, puis en secondes noces, Bernardd’Orbais;
et Béatrix, femme d’Evrard, seigneur de Breteuil en Beauvaisis.Thomas
fit une seconde alliance avec une de ses proches parentes, à Dam...entre
autres lieux de Montaigu en Laonnois, et joignit, en l’épousant,
lapossession de cette place à celle de La Fère et de Marle,
qu’il tenait déjà dela
succession de sa mère.
es
trois forteresses le mirent enétat de se faire craindre en Picardie
où il ne devint guère moins puissantqu’Enguerrand, seigneur
de Coucy, son père. Mais celui-ci n’avait d’autrefaiblesse que trop
de penchant pour les femmes: du reste c’était un hommed’honneur et
respectable par ses bonnes qualités, au lieu que Thomas de Marlepassait,
avec justice, pour l’homme de son siècle le plus méchant et
le pluscruel. Dès sa première jeunesse il s’était accoutumé
au brigandage; et cetteinclination le porta dans la suite à de si
grands excès qu’on a honte de leslire dans ceux qui en ont voulu
faire le détail, et qu’on ne les souffriraitqu’avec peine dans notre
langue. Dès qu’il eut acquis le château de Montaigu ilen fit
comme une place d’armes, d’où il pouvait inquiéter impunément
le menupeuple et toute la noblesse du voisinage. Il était difficile
de l’inquiéterdans cette retraite.
ependant
les violences qu’il exerçaitcontinuellement envers tout le monde
allèrent si loin qu’à la fin son père, quile haïssait
d’ailleurs mortellement, prit la résolution de l’en chasser. RobertIII,
seigneur de Péronne, son frère, se joignit à lui avec
Ebles II, comte deRoucy, André de Roucy, seigneur de Rameru, Hugues
dit le Blanc, seigneur de LaFerté, et plusieurs autres de ses amis
ou de ses alliés; et tous ensemble ilsvinrent
assiéger la place. Thomas, quimalgré son courage et
la situation du lieu ne se sentait pas assez fort pourtenir tête à
tant de conjurés, sortit la nuit de son château avant que lestranchées
fussent achevées, et vint trouver le fils du roi qui fut depuis connusous
le nom de Louis le Gros. Ce jeune prince qui, sur le point de succéder
àson père, gouvernait déjà lui-même et
signalait presque toutes ses journées parquelque action d’éclat,
lui promit du secours et lui en donna sur-le-champ. Ilvint lui-même
devant la place suivi de sept cents hommes de cheval, dans larésolution
de forcer les assiégeants à quitter leur entreprise. Ceux-ci,
qui nes’attendaient point à combattre contre l’héritier présomptif
de la couronne, leconjurèrent de leur côté de ne point
prendre parti contre eux, de peur qu’ensoutenant la querelle d’un méchant
homme il ne perdit le service de plusieursbraves et fidèles seigneurs.
Mais n’ayant rien gagné sur son esprit, ils sesoumirent entièrement
à sa volonté et levèrent le siège. Louis fit
aussitôtabattre tous les forts qu’ils avaient fait dresser, combla
les tranchées etrafraîchit la place de vivres et de gens de
guerre, vers l’an 1104. Cette mêmeannée, Enguerrand, évêque
de Laon, mourut. Enguerrand, seigneur de Coucy, et Sibyllesa femme, n’avaient
jamais trop compté sur l’absolution qu’ils en avaientreçue.
Malgré tous les remords de leur conscience, ils habitaient toujoursensemble.
Dès que le seigneur de Coucy eut appris la maladie de l’évêque,
ilalla lui rendre visite; il le trouva dans une situation si triste qu’il
ne putretenir ses larmes. Le malade avait entièrement perdu l’usage
de la parole,quoiqu’il ne fut pas sans connaissance. Sa fin approchait.
Les prêtres qui sedisposaient à lui administrer les sacrements,
et qui regardaient le seigneur deCoucy comme un excommunié, ne voulurent
rien faire en sa présence et le firentsortir de la chambre. Il s’approcha
néanmoins du lit du malade et se nomma àhaute voix. L’évêque
moribond le reconnut, lui tendit les bras, et l’embrassaétroitement
pour la dernière fois. Cette circonstance de la mort du prélat
vintbientôt aux oreilles de Sibylle, qui s’en moqua ouvertement, et
qui ne craignitpas de dire que c’était là cimenter, même
au lit de la mort, une des plusmauvaises actions qu’il eut faite de sa vie.
Mais si l’évêque ne se démentitpas, et s’il parut n’avoir
aucun regret de ce qu’il avait fait pour Sibylle etpour le seigneur de Coucy,
celui-ci n’en était pas plus tranquille. Leprotecteur de son mariage
était mort, et il craignait un successeur plus fermeet plus désintéressé
que son cousin.
l
se donna donc de grand mouvementpour avoir un évêque à
sa dévotion. Néanmoins cette affaire traîna en longueur.Le
siège de Laon vaqua deux ans de suite, et ne fut rempli qu’en 1106
parl’élection de Gaudry, chancelier du roi d’Angleterre. Enguerrand
assista etparaît avoir eu bonne part à son élection.
Aussi le nouvel évêque lefavorisa-t-il de tout son pouvoir.
Il conçut contre Thomas de Marle la hainequ’Enguerrand, son père,
lui portait et poussa même cette haine si loin qu’ilfit arracher les
yeux à un certain Gérard attaché au service et partisan
deThomas, précisément parce qu’il lui était attaché.
Sibylle, de son côté, parutreconnaissante et le fit bien voir
par des effets. Elle contribua autant quepersonne à la mort de Gérard
de Crécy, un des premiers seigneurs du Laonnois,que l’évêque
Gaudry haïssait, et que Roricon, son frère, assassina dans lacathédrale
de Laon, pendant qu’il y était en prières. Mais cet évêque
fit unefin tragique, et fut assassiné à son tour l’an 1112,
dans le cloître même de lacathédrale, à l’occasion
de la commune qu’il avait favorisée d’abord, et qu’ils’était
ensuite efforcé d’abolir. Thomas de Marle ne trempa pas dans cemeurtre.
Cependant comme il ne se faisait presque point de mal dans cescontrées
sans lui, s’il n’eut point de part à l’action il en eut beaucoup
auxsuites fâcheuses que cette action entraîna après elle.
Peu de temps après lesiège de Montaigu, il s’était
vu contraint de renoncer à la possession de cetteplace, et à
la jouissance de celle qui la lui avait apportée en mariage. Leurparenté
fut cause de leur séparation: elle en fut du moins le prétexte;
etThomas fit bientôt une troisième alliance avec Milesende,
fille de Guy deCrécy, et héritière des châteaux
de Crécy et de Nogent, situés dans leterritoire des deux villages
du même nom au diocèse de Laon. Crécy estaujourd’hui
un gros bourg sur la Serre, à trois lieues de cette ville. Pour cequi
est de Nogent, ou ce lieu ne subsiste plus ou il a changé de nom;
il nefaut point le distinguer de Novion-le-Comte, sur la même rivière
de Serre,entre le Sart et Pont-à-Bussy. Le domaine de ces deux paroisses
appartenaitalors à l’abbaye de Saint-Jean de Laon; mais Thomas s’en
empara bientôt, à lafaveur de ces deux nouvelles forteresses.
Enguerrand était parvenu alors à unâge fort avancé.
La conduite et les dérèglements de Thomas de Marle luicausaient
un chagrin mortel, et il n’en était que plus ferme dans la résolutionqu’il
avait prise de le déshériter. Sibylle, qui commençait
à ne plus vouloiruser avec lui des droits d’une épouse, lui
avait fait entendre qu’il étaittemps enfin de vivre ensemble avec
la chasteté d’un frère et d’une sœur; maiscomme elle ne lui
refusait le devoir conjugal que parce qu’un mari suranné nelui plaisait
pas, elle sut mettre à profit la haine et la résolution duvieillard
pour satisfaire d’un même coup et son ambition et son incontinence.Elle
aimait un jeune homme nommé Guy, et entretenait avec lui un commercecriminel.
Enguerrand ne voyait pas ce jeune homme d’un bon oeil; mais cettefemme,
plus adroite que lui, l’ensorcela de manière qu’elle le fit consentirnon
seulement à le recevoir chez lui, mais même à lui donner
sa propre fille enmariage et à l’établir gardien et défenseur
de sa terre de Coucy, contre Thomasde Marle. Cette fille pouvait bien être
le fruit de leurs premières amours;elle pouvait aussi n’être
née que d’un commerce honteux et illégitime queSibylle avait
entretenu pendant l’absence de Godefroy, son premier mari,
avant qu’elle se donnât àEnguerrand. Quoi qu’il en soit, elle
servit à pallier l’inceste et le doubleadultère de Sibylle
avec le nouvel époux. Enguerrand, qui voyait affecter à cejeune
homme une haine irréconciliable contre Thomas de Marle, trouva de
soncôté dans ce mariage de quoi satisfaire pleinement le sien
propre. Thomas, quise voyait par cette alliance à la veille de perdre
la terre de Coucy, se laissaemporter à toute sa fureur, et ne garda
plus aucune mesure envers Sibylle etEnguerrand. Il porta le fer et le feu
dans toutes leurs terres, et massacratous ceux de leurs gens ou de leurs
vassaux qui tombèrent
sous ses mains. On remarque comme un trait de sacruauté, qu’en un
même jour il arracha les yeux à dix de ces malheureux.Sibylle,
qui portait dans son cœur toute la haine d’une marâtre, sut bien userde
représailles, et porta Enguerrand aux dernières extrémités.
Ce ne fut depart et d’autre que ravages, meurtres, incendies; et plus d’un
an se passa de lasorte, sans que le père, le fils et la belle-mère
pussent se lasser de répandredu sang. Si par intervalle ils se donnaient
quelque relâche, ce n’était
que pour recommencer peu de temps après avecplus de furie. Pendant
qu’ils étaient ainsi animés l’un contre l’autre, le roiavait
accordé aux habitants d’Amiens d’établir une commune, à
l’imitation decelle de Laon et saint Godefroy, leur évêque,
y avait prêté les mains.Enguerrand, comte de la ville, qui
voyait par ce nouvel établissement diminuerles anciens droits de
son comté, s’y opposa de toutes ses forces, et leva lesarmes contre
les bourgeois qui se mutinèrent. Adam,
gouverneur de la citadelle, qui lui était fidèlement
attaché,vint à son secours; les bourgeois le repoussèrent
jusque dans son fort, et iln’osa plus paraître. Fiers de ce premier
succès, ils s’adressèrent à Thomas deMarle, et lui
demandèrent du secours contre Enguerrand. La mauvaiseintelligence
qui régnait entre le père et le fils semblait leur permettre
toutle succès qu’ils attendaient de leur révolte; en effet,
Thomas appuya leurparti pendant quelque temps. L’occasion se présenta
bientôt de faire sentir àSibylle qu’elle avait affaire à
un ennemi irréconciliable. Gautiers,archidiacre de Laon, frère
utérin de cette femme, et qui avait été le principalmoteur
de son mariage avec Enguerrand, était allé à Amiens,
vers le milieu ducarême de l’an 1114, voir sa sœur. Thomas aposta
quelques scélérats sur lacroupe de la montagne de Laon qui
le poignardèrent à son retour.
nguerrand
s’aperçut alors qu’il étaittemps de se dépouiller,
du moins à l’extérieur, de toute la haine qu’il portaità
son fils; c’était un coup de partie pour lui et il ne le négligea
pas. Ilmanda Thomas de Marle qui vint le trouver, et il lui fit entendre
qu’il luirendrait toute son affection s’il prenait son parti contre les
habitantsd’Amiens. Sibylle, qui savait jouer plus d’un personnage, employa
de son côtépour l’y déterminer tout ce que la duplicité
de son cœur pouvait lui suggérerde caresses. Thomas se rendit. Le
sceau de la confédération fut le mariaged’une de ses filles
fort jeune, nommée Milesende, qu’il promit à Aleaume, filsd’Adam,
gouverneur du château d’Amiens. Il ne se méfia pas de tout;
il lui encoûta d’abord de grandes sommes d’argent, que sa belle-mère,
comme médiatricede la paix, sut tirer à son profit. Cette
réconciliation du père et du filschangea bientôt la
face des affaires; et les bourgeois n’eurent plus à seglorifier du
succès de leurs armes. Guermond de Pequigny, vidame de l’évêque,
étaità leur tête, et soutenait puissamment leur querelle.
Thomas de Marle et Adam sejoignirent ensemble et leur tombèrent sur
les bras. Thomas, qui ne doutait pasque les chanoines, conjointement avec
l’évêque, ne fussent d’intelligence avecles bourgeois, se jeta
sur les terres et sur les villages de l’église, et ycommit une infinité
de meurtres et de ravages. Tous ceux qui ne tenaient paspour Enguerrand
étaient sur-le-champ ou estropiés,
ou mis en rançon, ou faits prisonniers, ou cruellementmassacrés;
il en tua trente lui-même de sa propre épée. Le danger
où ils’exposait continuellement ouvrit les yeux à Sibylle
qui cherchait les moyensde venger la mort de son frère. Sybille fit
avertir sous main le vidame qui luidressa des embûches. Thomas eut
le malheur d’y tomber et fut blessé à plusieursendroits du
corps. Il était à pied, pendant la nuit, et hors de défense.Guermond
l’attaqua à son avantage et lui porta entre autres un si rude coup
delance dans le jarret que tout le genou en fut traversé. La blessure
était tropconsidérable pour être négligée.
Thomas fut contraint d’abandonner l’armée etde se retirer dans son
château de Marle pour se faire panser. Ce fut au mois denovembre que
cet accident lui arriva. Mais les évêques de France, vivement
touchésde tous les maux dont il était l’auteur, lui déclarèrent
un autre genre deguerre, qui devait lui causer bien de l’embarras. Ils tenaient
dans ce mêmetemps un concile à Beauvais, et ils y firent de
si grandes plaintes contre luique le légat Conon, évêque
de Palestine, qui présidait à ce concile, le déclaraexcommunié,
dégradé de l’ordre de chevalerie, et déposé
de tous ses honneurs,comme infâme scélérat et ennemi
du nom chrétien. Les évêques ne s’en tinrentpas à
cette condamnation, qui fut longtemps publiée à tous les prônes
desparoisses.
ls
sollicitèrent fortement le roi demener des troupes contre lui et
de forcer ses châteaux de Crécy et de Nogent.Le roi se rendit
à leurs prières, et dès le carême de l’année
suivante, lapremière de ces places fut emportée l’épée
à la main, malgré le peu derésolution que le roi trouva
d’abord dans son armée; et la seconde ouvritelle-même ses portes.
Thomas était toujours à Marle où il ne s’attendait
pas àune perte si considérable. Fortifié du secours
de ses amis, il avait renvoyébien loin la proposition que le roi
lui avait fait faire, de restituer àl’abbaye de Saint-Jean le domaine
de ces deux villages. Il en coûte à se raidircontre son prince.
Thomas y perdit ses deux châteaux que le roi fit raser; ettous ceux
des complices de la mort de Gaudry, évêque de Laon, qui s’y
étaientréfugiés, furent exécutés sans
miséricorde, ou trouvèrent leur salut dans lafuite. Sibylle,
de son côté, n’était pas sans embarras. Adam, gouverneur
de la citadelle d’Amiens, et qui l’avait toujoursdéfendue
pour Enguerrand, jusqu’au temps de la blessure de Thomas de Marle,n’eut
pas plutôt appris cette trahison qu’il se déclara pour Thomas.
Celui-ci,en se retirant, lui avait laissé l’élite de ses troupes;
et avec ce secours iltenait tête d’un côté à Enguerrand
et à Sibylle, et de l’autre au vidame et auxbourgeois. Dans cette
fâcheuse circonstance, Sibylle crut n’avoir point demeilleur parti
à prendre que de faire sa paix avec le vidame dans le desseind’unir
ses forces avec celles de la commune, pour chasser plus facilement Adamde
la place. C’est peut-être à cette occasion qu’il faut rapporter
ce qu’unancien auteur dit de Sibylle qu’elle serra à tout événement
sa vaisselle d’oret d’argent et ses meilleurs effets dans l’église
cathédrale de Laon, quivenait d’être nouvellement remise sur
pied.
uoi
qu’il en soit, Sibylle et levidame se joignirent ensemble, et appelèrent
à leur secours Louis le Gros, quiy vint avec un corps d’armée
considérable; en sorte que Adam eut trois ennemissur les bras au
lieu d’un. Le roi était devant la place sur la fin du carême
del’an 1115, et, ayant tenté inutilement un assaut, il la fit bloquer
dans ledessein de la prendre par famine. Des affaires plus pressantes l’appelaientailleurs;
il courut où sa présence était le plus nécessaire,
et ne revint àAmiens qu’au bout de deux ans.
ans
cet intervalle, Enguerrandmourut, et ce fut apparemment vers la fin de l’an
1116. Il avait passé au moisde mars de cette année une transaction
avec Azenavie, abbé de Saint-Remy, etc’est le dernier acte que l’antiquité
nous ait conservé de ce seigneur.
n
ne peut nier qu’Enguerrand Iern’ait eu de grands défauts, et il faut
mettre de ce nombre son amour désordonnépour Sibylle de Château-Portien;
mais il eut aussi des vertus. On a vu quel’abbaye de Nogent lui est redevable
d’une partie de ses revenus. Il enrichitaussi de plusieurs héritages
celle de Saint-Vincent de Laon, et fit de grandsbiens en 1085 au chapitre
de Saint-Acheul près d’Amiens. Le jour précis de samort est
inconnu, aussi bien que le lieu de sa sépulture; et l’histoire deSibylle,
sa femme, se termine avec la sienne: il disparaît et il n’est plusfait
mention d’elle.
utre
Thomas de Marle, il avait eu unfils nommé Robert, dont on ne sait
que le nom et qui mourut avant son père,sous le pontificat de Barthélemy,
évêque de Laon. Peu de temps après, saintNorbert jeta
les fondements de la célèbre abbaye de Prémontré,
dans le diocèsede Laon. Thomas assista avec le jeune Enguerrand,
son fils, à la consécrationde l’église qu’en fit l’évêque
Barthélemy, et dota de plusieurs biens cetteabbaye naissante. Le
reste de sa vie, qui fut encore de dix années ou environ,n’est pas
fort connu. Quelques marchands passèrent vers ce même temps
par lesterres de Thomas de Marle; ils avaient un sauf-conduit signé
de lui-même.Cependant, par la plus noire des trahisons, il les fit
arrêter, les dépouillade leurs marchandises, et les retint
prisonniers. Le roi fut sensible à cetteperfidie et jura de la venger.
Il se rendit pour cet effet à Laon où, ayantpris conseil de
plusieurs prélats, de Raoul comte de Vermandois, et desprincipaux
barons du royaume, il résolut d’aller attaquer Thomas dans sonchâteau
de Coucy. La résolution prise, ceux qu’il avait envoyés reconnaître
laplace lui étant venu rapporter qu’elle était inaccessible,
et qu’il seraitdifficile d’en venir à l’exécution, le roi,
loin de se laisser ébranler,déclara hautement que ni l’amour
de la vie, ni la crainte de la mort ne seraientcapables de le détourner
de cette entreprise, et sur-le-champ il monta à chevalet se mit à
la tête de ses troupes. Le comte de Vermandois le suivit despremiers:
il ne cherchait l’occasion que de venger la mort de son frère etc’était
principalement sur l’avis de ce prince que Louis le Gros avait conclu àformer
le siège. Thomas aperçut l’orage, et prit des mesures pour
s’en mettre àcouvert. Il dressa des embûches à une partie
de l’armée; il fut pris dans sonpropre piège, et frappé
d’un coup qui le fit tomber de cheval. Raoul, quin’était pas loin,
vint aussitôt à bride abattue sur lui, et, sans lui donner
letemps de se relever, lui passa son épée au travers du corps.
Le coup étaitmortel, mais Raoul ne s’en contenta pas, et il allait
recommencer, si l’on ne se fût opposé à ce dernier
effort de savengeance. Thomas fut présenté au roi qui ordonna
de le transporter à Laon, oùil devait se rendre le lendemain.
Milesende, sa femme, n’eut pas plutôt apprisl’état où
il était, qu’elle s’y rendit sur la permission que le roi lui endonna.
Cependant, ni cette grâce qu’il venait de recevoir de son prince,
ni lacrainte de la mort ne put le déterminer à rendre de lui-même
ses prisonniers.Le roi menaça, il s’abaissa jusqu’aux prières.
Tout fut inutile. Thomas regrettaitencore plus la perte de ces prisonniers
que la perte même de la vie, qui suivitde près. Telle fut la
fin malheureuse de ce seigneur toujours rebelle à sonprince. Il paraît
être le premier de sa maison qui ait pris dans les titrescelui de
Coucy par la grâce de Dieu. En quoi ses successeurs l’ontsouvent
imité ! Il mourut en l’année 1130, et son corps fut porté
dans l’abbayede Nogent-sous-Coucy à laquelle il avait fait quelques
dons pendant sa vie. Ilfut enterré sous la tour de l’église
et y demeura jusqu’au 3 avril 1219,qu’Enguerrand III, son arrière-petit-fils,
permit de le transporter dans lechœur de la nouvelle église que Robert
II, abbé du lieu, avait fait construire.Cette abbaye avait pris de
grands accroissements depuis sa fondation. Henry,qui en avait été
le premier abbé, céda sa place de son vivant à un jeunereligieux
du Mont Saint-Quentin, près de Péronne, nommé Godefroy,
qui fut éludu consentement unanime de toute la communauté,
et qui contribua plus qu’aucunautre par ses soins et par son économie
à la rendre florissante. Godefroy étaitabbé de Nogent,
dès l’an 1095. Il fut fait évêque d’Amiens en 1105 et
a mérité,par l’éclat de ses vertus, que l’église
lui décernât un culte public après samort. Sa fête
se célèbre le 8 novembre. Guibert, célèbre par
ses ouvrages, etconnu sous le nom de Guibert de Nogent, mais envenimé
contre son prédécesseur,lui succéda en 1105 et mourut
en 1124. André, qui fut élu après Guibert, vivaitencore
lorsque Thomas de Marle mourut. Ce seigneur laissa de sa femme troisenfants,
héritiers de ses biens, deux fils et une fille. Les deux fils furentEnguerrand
II, nommé communément Enguerrand de La Fère, seigneur
de Coucy, deMarle, de La Fère, de Crécy, de Vervins, de Pinon,
de Landousies, de Fontaineset de quelques autres lieux; et Robert Ier, seigneur
de Boves, qui se qualifiapendant quelque temps comte d’Amiens, quoique son
père en eût perdu le titre etla jouissance. La fille, nommée
Milesende, fut d’abord accordée, comme on l’avu avec Aleaume, fils
d’Adam, gouverneur de la citadelle d’Amiens, et épousadepuis Hugues,
seigneur de Gournay au pays de Caux, à qui elle porta en mariagequelques
terres démembrées du domaine de Boves. La première
chose à laquelles’attacha Enguerrand II, après la mort de
son père, fut de restituer à diverseséglises les biens
dont celui-ci les avait dépouillées; car quoique Thomas eûtpromis
quelques années auparavant
deréparer tout le tort qu’il avait fait aux ecclésiastiques,
néanmoins il laissasa promesse à acquitter à ses enfants.
Enguerrand et Milesende de Crécyrésistèrent d’abord;
mais leur résistance ne fut pas longue. On a des actes deces restitutions
datés de l’an 1131; et dans la suite ils en firent encoreplusieurs
autres. Milesende vivait encore en 1147. Elle fonda près de Coucy,dans
un lieu appelé Rosières, un petit monastère qu’elle
soumit à l’abbaye dePrémontré.
nguerrand
n’avait point hérité desvices de son père. Il semble
au contraire qu’il ait affecté de se distinguer delui en faisant
du bien. Une grande partie des abbayes des environs se louent deses libéralités.
Il est fâcheux de ne savoir presque rien de la vie et desactions de
ce seigneur. Lorsque le roi Louis le Jeune se croisa à Vézelay
en1146, pour aller en personne au secours des
fidèles de Terre Sainte, Enguerrand II prit la Croix à son
exemple,avec Robert de Boves, son frère, et Evrard de Breteuil, son
beau-frère: c’estlà où se termine son histoire. On
veut qu’il soit péri avec tant d’autrenoblesse dans cette expédition
qui fut si funeste aux croisés de France etd’Allemagne. Ce qu’il
y a de sûr, c’est qu’il était encore en France en 1147.Il ne
laissa que deux fils: Raoul %Ier, qui hérita de la plus grande partie
deses biens, et Enguerrand. Celui-ci avait été baptisé
en 1142, dans l’abbaye dePrémontré, par Barthélemy,
évêque de Laon, et fut père, selon toutes lesapparences,
de deux enfants qui vivaient encore en 1187, l’un nommé Raoul, quiprit
le parti de l’église, et l’autre nommée Marguerite, qui fut
mariée àJoubert, seigneur de la Ferté-Béliard.
Ce jeune Enguerrand mourut avant la finde l’an 1174, peut-être même
avant cette année, et fut enterré dans l’abbaye deSaint-Denis
en France. Pour ce qui est d’Agnès de Beaugency, femme d’EnguerrandII,
on ignore l’année de sa mort; on sait qu’elle vivait en 1147, et
qu’ellefut enterrée dans l’abbaye de Saint-Vincent de Laon. Ce que
l’on sait de RaoulIer se réduit à très peu de chose.
Il paraît que ce nom lui fut donné enmémoire de Raoul
de Beaugency, son aïeul maternel, ou de Raoul, comte deVermandois,
son grand-oncle. Il prit d’abord le surnom de Marle, à cause duséjour
qu’il faisait ordinairement dans cette ville. Raoul %Ier avait épousé
enpremières noces Agnès, seconde fille de Baudoin le Bâtisseur,
comte de Hainaut,dont il eut trois filles. Agnès de Hainaut mourut
à Laon en 1173; et comme elleavait sa sépulture dans l’abbaye
de Nogent-sous-Coucy, il y eut à ce sujet degrandes contestations
entre les religieux de cette abbaye et ceux deSaint-Vincent de Laon. C’était
le droit de ceux-ci d’enterrer chez eux nonseulement les chanoines de l’église
cathédrale, mais encore les vassaux et ceuxqui tenaient des fiefs
mouvants de cette église lorsqu’ils mouraient à Laon,dans
ce qu’on appelait alors les limites de la paix. Ceux de Nogent opposaientà
ce droit la disposition testamentaire de la défunte, et l’affaire
fut portéeau Saint-Siège. Comme elle ne fut pas sitôt
terminée, Agnès fut enterrée, commeelle l’avait souhaité,
dans l’abbaye de Nogent, et Nivelon, évêque de Soissons,régla
dans la suite les droits que ces deux abbayes auraient dorénavant
àprétendre dans ces sortes d’occurrences. La seconde femme
de Raoul fut Alix,propre sœur du comte de Dreux, son gendre, laquelle vivait
encore en 1217; etpar cette nouvelle alliance il eut l’honneur de devenir
lui-même gendre d’unfils de France et cousin germain, par sa femme,
du roi Philippe-Auguste. Lesenfants qu’il eut de ce second lit furent Enguerrand
III, Thomas, Raoul, Robertet Agnès, femme de Gilles, seigneur de
Beaumes, châtelain de Bapaume. Avant quede partir pour la Terre Sainte,
il partagea ses terres entre ses enfants dusecond lit, ou plutôt il
institua son héritier Enguerrand III, à l’exception dequelques
portions qu’il assigna aux autres. En vertu de ce partage, Raoul, quiavait
pris le parti de l’église, et Agnès qui n’était point
encore mariée,n’eurent qu’une somme d’argent ou une pension alimentaire.
Thomas qui fitsouche, eut les seigneuries de Vervins, de Fontaines et de
Landousies; Robert, qui fut aussi chef de sabranche, eut la seigneurie de
Pinon, avec tout le bien de sa mère; et l’un etl’autre devaient faire
hommage de leurs terres à Enguerrand, leur aîné.Quelques
années avant ce partage, Raoul %Ier avait pris en hommage du comte
deFlandre ces terres de Marle et de Vervins, mais par le traité de
paix quisurvint ensuite, ce comte fut obligé de lui remettre cet
hommage. La Fère dontil jouissait encore était anciennement
un fief mouvant de l’évêché de Laon.Roger de Rosoy,
évêque de Laon, le remit au roi en 1185; et depuis ce tempsRaoul
ne releva plus que du roi pour ce fief. On voit, par toutes ces allianceset
par les grands biens qui se trouvaient alors dans la maison de Coucy, queRaoul
Ier devait être un puissant seigneur. Il avait, à l’imitation
des ducs etdes comtes, des officiers tels que ceux de la maison de nos rois.
On trouvequ’en 1166, c’est-à-dire avant même qu’il eût
épousé une princesse du sang, ilavait un sénéchal,
un chambellan et un bouteiller. Mais les seigneurs de Coucysont redevables
de tout leur éclat à Enguerrand III, fils aîné
de Raoul %Ier.Ce nouvel Enguerrand mérita le surnom de Grand qui
lui fut donné, soit par lesgrandes alliances qu’il fit entrer dans
sa famille, soit par le grand rôlequ’il joua dans le monde, soit enfin
par les grandes qualités qui brillaient enlui quoiqu’un peu obscurcies
quelquefois par de grands défauts. Il fut detoutes les guerres et
de toutes les expéditions considérables qui se firent deson
temps en France, en Angleterre et en Flandre.
e
château de Coucy, que l’archevêqueHervé avait fait construire,
mais qui n’avait été bâti que par les paysans dulieu,
ne lui paraissait pas digne de sa magnificence. Il le fit abattre et surses
ruines il en éleva un autre, dont les restes impriment
aujourd’hui, dans ceux qui les regardent deprès, je ne sais quelle
surprise pour ceux qui en furent autrefois les maîtres.La ville de
Coucy fut en même temps agrandie par ses soins; il l’embellit,l’orna
de nouveaux édifices et l’environna de murailles et de tours depuis
laporte Soissonne jusqu’à la porte de Laon. Enfin, pour rapprocher
tout ce qu’ilfit en ce genre et mettre sous un seul point de vue les divers
travaux auxquelsil s’appliqua pour embellir ou pour fortifier les places
de son domaine, ilfit, outre cela, construire les châteaux de Saint-Gobain,
d’Acy et de Marle, lechâtellier au-dessus de La Fère, le parc
et la maison de Folembray, la maisonde Saint-Aubin entre Coucy et Noyon,
le parc d’Espintier, sans parler del’hôtel de Coucy à Paris
auprès de Saint-Jean-en-Grève, et de plusieurs autreslieux
moins connus qui tous ensemble ne purent être achetés qu’avec
une dépenseextraordinaire. Un de ses principaux soins fut de faire
observer la justicedans toutes les terres de son obéissance. Coucy
faisait anciennement partie ducomté de Vermandois, et se gouvernait
selon les lois et les coutumes de cetteprovince. Enguerrand, qui affecta
l’indépendance plus qu’aucun seigneur de sontemps, et qui s’était
fait une petite souveraineté de son domaine, fit quelqueschangements
à ces usages ou revêtir de son autorité ceux qui s’étaientintroduits
insensiblement sous ses prédécesseurs. C’est ce que l’on appelleaujourd’hui
la coutume de Coucy qui, depuis Enguerrand, a tenu lieu de loi dansla ville
et dans une partie de son ressort, et qui a enfin été autorisée
par leroi depuis la rédaction qui en fut faite sous ses
ordres en 1556. Enguerrand avait hérité de l’humeur
guerrière etde la bravoure de Thomas de Marle, son bisaïeul.
Il était marié avec Eustache,sœur et héritière
de Raoul et de Jean %Ier, comtes de Roucy, dont le premier[avait épousé]
Isabeau de Coucy, sa sœur. Il prit, en vertu de cette alliance,le titre
de comte de Roucy et traita sous ce titre, en 1203, une confédérationavec
Gautier, seigneur d’Avesnes, par laquelle ils jurèrent l’un et l’autre
des’aider et de se prêter mutuellement secours envers et contre tous,
sauf leservice et la fidélité qu’ils devaient au roi et à
la comtesse de Vermandois.La croisade contre les Albigeois se publiait par
toute la France, et une infinité de seigneurs prenaient
les armespour soutenir la querelle de l’église contre les hérétiques.
Enguerrand secroisa en 1209 et alla joindre l’année suivante, avec
les évêques de Paris etd’Auxerre, Robert de Courtenay, Inel
de Mantes et quelques autres, l’armée ducomte de Montfort qui, avec
ce secours, se rendit maître de la forteressede
Cabaret.
nguerrand
eut des ennemis; peut-êtreque ceux-ci l’engagèrent à
la croisade dans le dessein de lui tendre desembûches et de l’y faire
périr; peut-être ne pensèrent-ils à se défaire
de luiqu’après qu’il eut joint l’armée du comte de Montfort.
Quoi qu’il en soit,Enguerrand fut assez heureux pour éviter le danger,
et ceux qui avaient conjurésa perte eurent au moins la honte de n’avoir
pas réussi. On voyait, il y aquelques années à Coucy
une grande pierre taillée en plein relief, qui pourraitbien avoir
été un symbole de cette conspiration pour apprendre aux sièclesfuturs
que la rage et les efforts des ennemis d’Enguerrand ne purent riencontre
lui. Cette pierre, qui servait comme de fronton à la porte par où
l’onentrait dans la grosse tour, représentait une espèce de
lion, ou un animal àpeu près semblable, qui se jette sur un
autre seigneur, prêt à le mettre enpièces, pendant que
celui-ci se tient tellement à couvert de son épée et
de sonbouclier que cet animal furieux ne trouve aucune prise sur lui. Enguerrand
nefut pas plutôt de retour [de la croisade] contre les Albigeois que
le roivoulut lui-même lui donner une troisième femme de sa
main. Baudoin, comte deFlandre et empereur de Constantinople, son beau-frère,
avait laissé deuxfilles, dont l’aînée, appelée
Jeanne, était héritière de ce comté: et ce futsur
cette princesse que le roi jeta les yeux pour la donner en mariage àEnguerrand.
Celui-ci consentit sans peine à cette alliance, dont lesconventions
furent ratifiées entre le roi et lui en 1211; et, pour cimenterdavantage
une si belle union, Thomas, seigneur de Vervins, son frère, devaitépouser
l’autre sœur, nommée Marguerite, qui fut depuis comtesse de Hainaut.Cependant
ces deux projets de mariage n’eurent point de suite: Margueriteépousa
successivement Bouchard d’Avesnes et Guillaume de Dampierre, l’un diacreet
l’autre sous-diacre; et l’héritière de Flandre prit parti
premièrement avecFerrand fils de Sanche Ier, roi de Portugal puis
avec Thomas de Savoie.Enguerrand donc songea à une autre alliance
et ne tarda pas à épouser Marie,fille de Jean, seigneur de
Mont-Mirel-en-Brie, et d’Oisy sur les confins du Cambrésiset de l’Artois,
qui s’était rendu religieux à Long-Pont et qui y mourut en1217.
Marie apporta pour sa dot, entre autres terres, celle de Condé-en-Brie,et
recueillit ensuite toute la succession de sa famille, c’est-à-dire
lesseigneuries de Mont-Mirel, d’Oisy, de Crève-Coeur, de La Ferté-Ancoul,aujourd’hui
La Ferté-sous-Jouarre, de La Ferté-Gaucher, et de plusieurs
autresbelles terres, avec la vicomté de Meaux et la châtellenie
de Cambray. Cetteriche succession rendit le seigneur de Coucy, son héritier,
l’un des pluspuissants seigneurs qu’il y eut en France et le mit plus que
jamais en état desoutenir son rang et sa dignité. Enguerrand
était déjà marié avec l’héritièrede
Mont-Mirel lorsqu’il se trouva à la fameuse [bataille] du Pont de
Bouvines,le 27 juillet 1214. On sait la révolution qui était
arrivée alors dans leroyaume. Les principaux de l’état, après
avoir dépouillé le roi Jean de sacouronne, appelèrent
à la succession le fils aîné de Philippe-Auguste, quirégna
depuis en France sous le nom de Louis VIII. Ce jeune prince partit, en1215,
pour aller prendre possession de ses nouveaux états; et Enguerrand
deCoucy, qui avait contribué autant que tout autre par ses conseils
à lui faireentreprendre ce voyage, l’y accompagna avec cinquante
chevaliers de sa suite.On peut juger de là quelle était la
puissance de ce seigneur. Car Robert II,comte de Dreux, qui avait épousé
sa sœur, et qui fit le même voyage avec lui,n’y en mena que trente,
le comte de Hollande trente-six, Jean, seigneur de Mont-Mirel,son beau-frère,
vingt, et Arnoult II, comte de Guise, quinze. Mais avant que departir pour
cette expédition, il avait excité de si grands troubles dansl’église
de Laon que toute la province ecclésiastique y prit part. Il fallutnégocier
cette affaire avec le roi et avec la cour de Rome, et l’orage ne futpas
sitôt apaisé! On ignore le motif qui aigrissait jusqu’à
un tel pointl’esprit du seigneur de Coucy; mais il n’y eut jamais de raisons
assez fortespour en venir à ces sortes d’excès. Depuis ce
temps jusqu’à l’année où saintLouis monta sur le trône,
Enguerrand ne paraît presque point sur la scène etl’histoire
ne fait nulle mention de lui. Ce qu’il y a de plus remarquable à
sonsujet, c’est la permission qu’il donna d’enlever le corps de Thomas de
Marle,son bisaïeul, de l’endroit où il reposait sous la tour
de l’abbaye de Nogent,pour le transporter dans le cœur de la nouvelle église.
Enguerrand avait euplusieurs enfants de sa dernière femme; quelques-uns
moururent au berceau etfurent enterrés dans l’abbaye de Prémontré.
Raoul %II et Enguerrand IV luisuccédèrent l’un après
l’autre. Jean suivit le roi
saint Louis avec son père en 1242, contre le comte de la Marche,et
mena quelques troupes en 1244, après la mort de son père,
à Alexandre II, roid’écosse, son beau-frère, contre
Henri III, roi d’Angleterre, qui dissipabientôt ce faible secours.
C’est tout ce qu’on trouve dans l’histoire de cejeune seigneur, qui mourut
peut-être peu de temps après, et qui fut enterré àFoigny
auprès de son père. Marie, l’aînée des filles
d’Enguerrand III, eut deuxmaris. Elle épousa d’abord en 1239 Alexandre
II, roi d’écosse, à qui selontoutes les apparences elle porta
en dot le comté de Gower, auprès de Roxbourg,dans la province
de Tiviotdale, dont jouissait son père, sans qu’on sache dequelle
manière ce bien était venu dans sa famille. Elle épousa
en secondesnoces Jean de Brienne, roi de Jérusalem. Enfin Alix, cadette
de Marie, épousaArnoud III, comte de Guisnes, dont les enfants unirent
à la succession deGuisnes celle de Coucy. Pour ce qui est de Marie
de Mont-Mirel, veuved’Enguerrand III, elle était encore vivante en
1271, et fut enterrée àLong-Pont, auprès du baron Jean
de Mont-Mirel, son père. Raoul II, fils aîné
d’Enguerrand III, etseigneur de Coucy après son père, ne tient
sa place dans l’histoire que par laseule action qui termina glorieusement
sa vie. Lorsque saint Louis fit levoyage d’outre-mer, pour aller combattre
les infidèles dans la Terre Sainte,Raoul se croisa avec lui et se
trouva, l’an 1250, à la bataille de La Massoure,où il fut
tué auprès de Robert, comte d’Artois, frère de saint
Louis, aprèsavoir fait, pour sauver ce prince que sa bravoure avait
emporté trop loin,des actions
plus qu’humaines. Il avaitépousé Philippotte, troisième
fille de Simon de Dammartin, comte de Ponthieu etde Montreuil et veuve de
Raoul d’Issoudin II, comte d’Eu, et en avait eu unfils nommé Enguerrand,
qui mourut jeune avant son père; en sorte que lasuccession de Coucy
passa à Enguerrand IV, son frère puîné. Enguerrand
IV étaitencore jeune lorsque son père mourut, et commença
à se faire connaître par uneaction digne de la cruauté
de Thomas de Marle.
l
y avait dans l’abbaye deSaint-Nicolas-au-Bois, à trois lieues de
Coucy et de Laon, trois jeunes gentilshommesflamands, envoyés par
leurs parents pour apprendre la langue française. [Ils]allèrent
un jour se promener hors du monastère et s’amusèrent à
tirer deslapins à coups de flèches. L’ardeur de la chasse
les ayant emportés jusque dansles bois de Coucy, ils furent arrêtés
par les gardes d’Enguerrand qui eut labarbarie de les faire pendre sur-le-champ
sans vouloir les entendre et sansleur donner le temps de se préparer
à la mort. Le bruit de cette action atroceparvint aux oreilles de
saint Louis. Ce monarque, indigné contre l’auteur d’uncrime aussi
lâche, donna ordre sur-le-champ de faire citer Coucy par devant lesjuges
de la cour du roi. De Coucy se présenta, mais il refusa de répondre
sousprétexte qu’étant baron il ne pouvait être jugé
que par ses pairs. Malgré sesreprésentations, le roi le fit
enfermer dans la tour du Louvre, et garder pardes huissiers et des sergents.
Cette action de rigueur, inouïe jusqu’alors,étonna tous les
barons qui étaient presque tous parents ou alliés du coupable.Dans
la première assemblée de la cour, le roi déclara que
le coupable fûtcondamné à la peine du talion. Les barons
l’assemblèrent et vinrent supplier lemonarque de leur permettre d’être
du nombre des juges, ce qu’il leur accorda;mais il leur dit que s’ils manquaient
à faire justice, il la ferait lui-même.Coucy ayant été
amené devant ses juges, le roi l’interrogea lui-même. Ayant
étéconvaincu, il ne vit d’autre moyen pour tâcher d’éviter
sa condamnation que dedemander à prendre conseil de ses parents.
Cette grâce ne pouvait lui êtrerefusée. Aussi le roi
la lui accorda et (ce qui est une preuve de la grandeurde sa maison et l’étendue
de ses alliances) tous les barons se levèrent pour lesuivre. Quelque
temps après, ils rentrèrent et Enguerrand à leur tête
nia lefait et offrit de s’en justifier par le duel, en protestant contre
la voie del’information qui, disait-il, ne pouvait avoir lieu, selon les
lois du royaume,lorsqu’il s’agissait de l’honneur et de la personne des
barons. C’était eneffet une procédure extraordinaire; mais
le roi, qui voulait l’établir pourabolir l’usage du combat, répondit
que la preuve du duel n’était pointrecevable à l’égard
des églises et des gens sans appui; que, faute de trouverdes champions
pour combattre les grands seigneurs, les petits resteraient dansune éternelle
oppression et sans espérance d’obtenir justice. Le comte deBretagne,
fameux depuis longtemps par ses révoltes, voulut insister:« Vous
n’avez pas toujours pensé de même, lui répliqua le roi;
vous devriezvous rappeler qu’accusé devant moi par vos barons vous
me demandâtes que lapreuve se fit par enquête, le combat n’étant
pas une voie de droit. »
ette
fermeté fit trembler pour lecoupable; personne n’osa répliquer;
on ne songea plus qu’à fléchir le monarque,justement irrité.
Le roi ayant donné ordre aux barons de reprendre leurs placeset de
donner leurs avis, il se fit un profond silence; tous se jetèrent
auxpieds du roi, avec Coucy qui fondait en larmes, et implorèrent
sa miséricordeému par leurs prières, ne croyant pas
devoir mépriser les sollicitations detoute sa noblesse, touché
de sa soumission, Louis laissa tomber un regard surle coupable: « Enguerrand,
lui dit-il, si je savais certainement que Dieum’ordonnât de vous punir,
toute la France, notre parenté même ne voussauveraient pas. »
Ce discours mêlé de clémence et de sévérité
calma lesvives inquiétudes de l’assemblée. On alla aux opinions:
Coucy fut condamné àfonder trois chapelles, où l’on
dirait des messes à perpétuité pour les victimesde
sa cruauté; à donner à l’abbaye de Saint-Nicolas le
bois fatal où le crimeavait été commis; à perdre,
dans toutes ses terres, le droit de haute justiceet de garenne; à
servir pendant trois ans à la Terre Sainte; enfin à une amendede
12 500 livres. Ceci se passa en 1256, et Enguerrand satisfit à tout,
exceptéà aller servir contre les infidèles, dont il
fut relevé en 1261, par le pape,de l’agrément du roi; mais
il lui en coûta une autre somme de 10 000 francs, auprofit des chrétiens
d’outre-mer. La première
amende à laquelle il avait été condamné servit
à fonderl’hôtel-dieu de Pontoise, à bâtir les
écoles et le dortoir des Jacobins deParis, et l’église des
Cordeliers de Paris. Vingt-deux mille livres étaient unesomme très
considérable en ce temps-là. Saint Louis n’en laissa depuis
que 10000, par son testament, à Agnès, sa seconde fille, lorsqu’il
partit pour lacroisade de Tunis où il mourut. Cependant le seigneur
de Coucy fut bientôtdédommagé de toutes ces pertes.
Marie de Mont-Mirel, sa mère, recueillit versl’an 1262 toute la succession
de sa famille, et peu de temps après, cette mêmesuccession
lui étant dévolue à lui-même, il se vit un des
plus riches seigneursdu royaume. Il vendit néanmoins une partie de
ce domaine, en 1272, à Guy de Dampierre,comte de Flandre, dont il
reçut 20 000 livres pour les villes et châteaux deCrève-Coeur
et d’Arleux et pour la châtellenie de Cambray, qui passèrent
depuisau roi par acquisition. Enguerrand était alors marié
avec Marguerite, filled’Othon III, comte de Gueldres, et de Marguerite de
Clèves, dont il n’eut pasd’enfants. En sorte qu’après la mort
de cette première femme il se remaria en1288 avec Jeanne, fille aînée
de Robert de Béthune, comte de Flandre, et deYolande de Bourgogne,
comtesse de Nevers; mais il n’eut point non plusd’enfants de celle-ci, et
tous ces biens passèrent à ses neveux. Il mourut le20 mars
1311, et fut enterré à Long-Pont, auprès de Marie de
Mont-Mirel, samère. Jeanne de Flandre, sa seconde femme, princesse
d’un grand mérite et dontle génie était fort propre
aux affaires, paraît avoir pris beaucoup de part auxguerres qui se
rallumèrent de son temps entre les Français et les Flamands.Elle
se retira après la mort de son mari auprès du comte de Flandre,
son père;et lorsque, par le traité de paix qui fut conclu
en 1320 entre les deuxnations, Marguerite fille du roi Philippe le Long
fut donnée en mariage aujeune Louis de Nevers, son neveu et héritier
du comté de Flandre, elle jura etsouscrivit au traité avec
le père de ce jeune prince et Robert de Cassel, sesdeux frères.
Elle se retira depuis en l’abbaye du Sauvoir, au pied de lamontagne de Laon,
et y mourut abbesse le 15 octobre 1333. Enguerrand IV nelaissant point d’héritiers,
tous ces biens devaient passer à Marie de Coucy,l’aînée
de ses sœurs, ou à ceux qui la représentaient. Enguerrand
%V eut,dit-on, pour parrain Enguerrand IV, son oncle maternel et fut élevé
à la courd’Alexandre III, roi d’écosse, son cousin germain,
qui le maria avec une de sesparentes nommée Chrestienne de Bailleul,
qui succéda depuis au même AlexandreIII au royaume d’écosse,
et qui avait été élevée comme Enguerrand dans
le mêmeroyaume. Leurs noces furent célébrées
en écosse avant l’an 1285, et ilsrepassèrent depuis en France
où Enguerrand V eut pour son partage, à la mortd’Enguerrand
IV, les seigneuries de Coucy, Marle et La Fère en Vermandois, Oisyet
Havraincourt en Cambrésis, Mont-Mirel et Condé-en-Brie, Châlons-le-Petit,
lachâtellenie de Château-Thierry, et l’Hôtel de Coucy
à Paris. Ce partage futratifié par le roi Philippe le Bel
au mois de juillet 1331. Enguerrand IVretint toute sa vie le nom et les
armes de Guisnes; mais sa postérité repritcelui de Coucy,
qu’elle a gardé jusques à la dernière héritière
de cettemaison. La seule action mémorable qu’on lui trouve, c’est
qu’il fut du nombredes seigneurs qui prirent ouvertement, l’épée
à la main, en 1318, le parti deMahaud, comtesse d’Artois, et qui
rétablirent cette princesse dans ses étatsdont on l’avait
dépouillée l’année précédente. Il vivait
encore en 1321, etétant mort peu de temps après, il fut enterré
dans l’abbaye de Prémontré. Descinq enfants qu’il eut de Chrestienne
de Bailleul, sa femme, Baudoin et unautre, dont on ne sait pas le nom, moururent
jeunes; Guillaume, seigneur deCoucy, de Marle, La Fère, Oisy et Mont-Mirel,
continua la ligne aînée;Enguerrand, seigneur de Condé-en-Brie,
devint vicomte de Meaux et seigneur deLa Ferté-sous-Jouarre, de Tresme,
de Belo et de Paurant, après l’extinction dela postérité
de Jean de Guisnes, son oncle, et fit souche; enfin Robert futchantre de
l’église de Cambray, seigneur du Chastellier, du Petit-Châlon
et deCourcelles-en-Brie; et ayant partagé avec Enguerrand, son frère,
la successionde Jean de Guisnes, il hérita de La Ferté-Gaucher,
de Romeny, de Chamigny, deBoissy et de Dionay, qu’il céda depuis
en tout ou en partie à Enguerrand VI.Guillaume épousa dès
l’an 1311 Isabeau, fille de Guy III de Chastillon, comtede Saint-Paul, grand
bouteiller de France; et en faveur de ce mariage,Enguerrand, son père,
le mit en possession de la baronnie de Coucy dont il pritle titre, du vivant
même de son père, et de la terre d’Oisy, sur laquelle futassigné
le douaire de son épouse, en attendant qu’elle pût le prendre
sur laseigneurie d’Havraincourt, dont jouissait alors Jeanne de Flandre,
veuved’Enguerrand IV. Cette même année, Jeanne de Guisnes,
comtesse d’Eu, disputa àEnguerrand et à Guillaume, son fils,
la possession des terres de Coucy, d’Oisyet de quelques autres qu’elle prétendait
devoir lui appartenir du chef deBaudoin de Guisnes, châtelain de Bourbourg,
son père, fils aîné d’Arnoul III,comte de Guisnes. Les
prétentions de cette dame donnèrent lieu à un grandprocès
qui ne fut entièrement terminé que dix-huit ans après,
au mois de décembre1329, par le roi Philippe de Valois. Et par l’arrêt
qui fut prononcé à cesujet, la terre de Coucy demeura à
Guillaume. Vers le même temps Alix, dame deMalines, sœur de Baudoin
de Guisnes et d’Enguerrand V, étant morte, la mêmecomtesse
d’Eu et le seigneur de Coucy se disputèrent encore cette succession.Mais
en 1331, cette dame, le connétable de France son fils, et Blanche
deGuisnes sa sœur, y renoncèrent en faveur de Guillaume, qui, étant
mort peu detemps après, vers l’an 1335, fut enterré dans l’abbaye
de Prémontré, auprèsd’Enguerrand V, son père.
Guillaume laissa six enfants après lui quipartagèrent sa succession:
Enguerrand VI, seigneur de Coucy; Jean qui eut lachâtellenie d’Havraincourt
et qui ne laissa pas de postérité; Raoul, seigneur deMont-Mirel,
qui hérita de La Ferté-Gaucher après la mort de Robert
son oncle,chantre de l’église de Cambray, de la châtellenie
d’Havraincourt après la mortde Jean son frère, de la terre
d’Encre après la mort de Jacques de Saint-Paulson oncle maternel,
de celles de Bailleul et de Hornoy après la mort d’Edouardseigneur
de ces deux terres, et de celle de Romeny-sur-Marne, par la mort deMarie
sa soeur. Il est souvent représenté dans l’histoire comme
un des plusbraves seigneurs de son temps. Il épousa Jeanne, fille
de Jean, comted’Harcourt et de Blanche de Ponthieu, comtesse d’Aumale, et
en eut trois filset quatre filles: Enguerrand, mort sans postérité,
seigneur de Mont-Mirel etd’Encre après son frère, évêque
premièrement de Metz puis de Noyon; Guillaumemort sans postérité;
Blanche, femme de Hugues %II, comte de Roucy et de Brainequi fut dame de
La Ferté-Gaucher, qui hérita des terres de Mont-Mirel etd’Encre
après la mort de Raoul son frère, et qui, étant mort
le 24 février1411, fut enterré dans l’abbaye de Braine; Marguerite,
femme de Guy de Neelle,seigneur d’Offemont et de Mello; Marie et Agnès.
Les trois autres enfants deGuillaume, seigneur de Coucy, furent Aubert,
seigneur de Dionay, près deMont-Mirel, qui épousa Jeanne de
Villesavoir, dame de Droisy, dont il n’eut quedeux filles: Marie, femme
premièrement de Gilles, seigneur de Mailly,secondement de Gaucher
de Chastillon, seigneur du Buisson, enfin de Jean deLisac, huissier d’armes
du roi; et Isabeau, femme de Raoul, seigneur deMareval. Aubert eut aussi
un bâtard, nommé Aubert comme lui, que le roi Charles%VI légitima
en 1398. Il est enterré avec Jeanne de Villesavoir, sa femme, dansl’abbaye
de Nogent-sous-Coucy. Ses deux sœurs furent Marie, dame de Romeny etde Chamigny,
morte sans postérité, et Isabeau, dont on ne sait rien. Isabeau,femme
de Guillaume, seigneur de Coucy, vivait encore en 1351 et paraît avoirété
inhumée dans le tombeau de son mari. Enguerrand %VI eut, après
la mort deson père, les seigneuries de Coucy, Marle, La Fère,
Oisy, Boissy, etc. Le roiPhilippe de Valois le maria en 1338 avec Catherine
d’Autriche, fille de Léopoldet de Catherine de Savoie, petite-fille
de l’empereur Albert Ier etarrière-petite-fille de Rodolphe Ier,
aussi empereur. L’année suivante, EdouardIII, roi d’Angleterre, qui
causa tant de maux à la France, ayant levé le siègede
Cambray, par où il avait commencé la campagne du côté
des Pays-Bas, attaquale château d’Oisy avec quinze cents hommes. Il
y eut là un grand assaut; maisceux qui tenaient la place pour Enguerrand
se défendirent si bien que lesAnglais se virent obligés d’abandonner
l’entreprise. Ils se vengèrent néanmoinsbientôt sur
les villes et châteaux de Saint-Gobain, Marle et Crécy-sur-Serre,où
ils mirent le feu. Enguerrand fut un des seigneurs de France qui prirent
leplus de part aux guerres de ce temps. Il alla joindre le roi en 1340,
pour setrouver à la bataille qu’on devait livrer à Edouard,
plutôt que de laisserprendre à ce prince la ville de Tournay
qu’il tenait assiégée. En 1343, ilmarcha à la suite
du duc de Normandie, héritier présomptif de la couronne, poursoutenir
les prétentions de Charles de Blois sur le duché de Bretagne
contreJean de Montfort. En 1345 et 1346, il était dans l’armée
que le même duc menapour la même cause contre le comte de Derby,
général de l’armée anglaise, et setrouva au siège
d’Angoulême, mais il mourut peu de temps après, ou au plus
tarden 1347, et ne laissa qu’un fils nommé Enguerrand VII, seul et
unique héritierde ses biens sous la tutelle de sa mère. Celui-ci
est le dernier seigneur de samaison qui ait possédé la terre
de Coucy. C’est à lui que se termine l’histoiredes seigneurs de cette
ville. Mais comme la gloire qu’il s’est acquise surpassecelle de tous ses
prédécesseurs, on peut dire aussi que l’histoire de cesseigneurs
ne pouvait finir d’une manière plus glorieuse. Il était dans
sa plustendre enfance lorsqu’il perdit Enguerrand VI, son père. Catherine
d’Autriche,sa mère et sa tutrice, veilla à son éducation,
mais elle mourut de peste en1349, avec un seigneur allemand nommé
Conrade de Médebourg qu’elle avait épouséen secondes
noces; et Jean de Coucy, seigneur d’Havraincourt, oncle du jeunepupille,
fut chargé de sa tutelle. D’un autre côté, le roi commit
de sonautorité plusieurs seigneurs de marque pour le gouvernement
et l’administrationde la baronnie de Coucy et de ses autres terres, jusqu’à
ce qu’il eût atteintl’âge de majorité. Cependant, la
funeste bataille de Poitiers ayant été suiviede la prison
du roi, Enguerrand se trouva du nombre des seigneurs qui furentlivrés
en otages aux Anglais en 1360, après que l’on eut traité de
part etd’autre pour la rançon et pour la délivrance de ce
prince. Il était alors dansla fleur de son âge, et le roi d’Angleterre,
soit par la tendresse et l’amitiéqu’il conçut pour lui, soit
aussi pour attacher à ses intérêts un jeune princequi
eût été capable de nuire à la France s’il se
fût déclaré contre elle, luidonna, outre la liberté,
Isabelle sa seconde fille en mariage. Enguerrandpossédait déjà
de grands biens en Angleterre où il jouissait des terres quiavaient
appartenu autrefois à Chrestienne de Bailleul, femme d’Enguerrand
V,son bisaïeul. Mais Édouard III y ajouta la baronnie de Bedfort,
qu’il érigeapour lui en comté, et plusieurs autres revenus
considérables dans la provincede Lancastre. Et le jeune comte de
Soissons, Guy de Blois, qui était toujoursen otage à Londres
pour le roi, ayant cédé en 1367 au roi d’Angleterre le comtéde
Soissons pour le prix de sa liberté, Édouard ne le prit que
pour engratifier sur-le-champ le seigneur de Coucy son gendre. Comblé
de bienfaits etd’honneurs de la part d’un roi puissant qui avait voulu lui
appartenir de siprès, il revint en France, et reçut à
Paris au mois d’avril de l’an 1368 le ducde Clarence, son beau-frère,
qui allait à Milan épouser la fille de GaléasVisconti.
Au mois d’août suivant, il affranchit de mortemain et de formariageles
habitants de sa terre de châtellenie de Coucy, c’est-à-dire,
outre ceux deCoucy, les habitants de Fresnes, Noirmaisières, Landricourt,
Neuville,Verneuil, Sorny, Folembray, Champs, Sernay, Troly, Dalmant, Vaussaillon,Crécy-sur-Nogent,
Guiri, Courson, Dandelain, Bertaucourt, Monceaux-les-Leups,Vaudesson, Pont-Saint-Marc
et Mareuil. Mais comme la guerre se ralluma aussitôtaprès entre
la France et l’Angleterre, il se trouva embarrassé du parti qu’ildevait
prendre. Sujet, allié et vassal par sa naissance du roi de France,
ilregardait comme un crime de porter l’épée contre lui. Gendre
et vassal d’unautre côté du roi d’Angleterre, il lui paraissait
indigne de son sang de sedéclarer contre ce prince. Il jugea donc
plus à propos de demeurer neutre danscette querelle, mais il ne voulut
pas en être témoin; et comme il se présentaitailleurs
de la gloire à acquérir, il prit congé du roi et porta
ses armes ducôté de l’Italie. Depuis longtemps les Visconti,
devenus maîtres de la ville deMilan, causaient beaucoup d’inquiétude,
non seulement à divers seigneurs desétats voisins, mais encore
aux papes sur les terres desquels ils faisaient tousles jours de nouvelles
entreprises. Leur puissance s’était extrêmement accrue.Mais
comme ils ne s’agrandissaient qu’aux dépens de plusieurs autres et
qued’ailleurs les crimes les plus noirs ne leur coûtaient rien pour
se maintenir,ils avaient aussi un grand nombre de puissants ennemis.
rbain
%V s’éleva contre eux avec plusde force qu’aucun de ses prédécesseurs.
Il les excommunia, et cetteexcommunication fut bientôt suivied’une
croisade, où divers seigneurss’engagèrent pour venger contre
ces deux tyrans la querelle de l’égliseromaine. Enguerrand fut du
nombre de ces seigneurs, et ne devint pas inutile nià Urbain V ni
à Grégoire XI son successeur. Il s’avança d’abord vers
la Savoie,où il fut reçu par le comte Amédée
VI avec tous les honneurs qui lui étaientdus. Ensuite il poussa jusques
à Milan même, dans le dessein apparemment desonder les deux
frères Galéas et Bernabo et de négocier, s’il le pouvait,
entrele pape et eux quelque accommodement. Ces deux seigneurs lui firent
un assezbon accueil; mais si Enguerrand s’était proposé de
les amener à la raison, il yréussit moins dans les conférences
qu’il tint avec eux que par divers avantagesque ses troupes emportèrent
en plusieurs occasions sur les leurs. Cette guerrefut longue. Enguerrand,
qui avait d’autres vues, ne voulut pas la voir termineravant que de revenir
en France. Après avoir taillé en pièces l’armée
de Bernaboauprès de Bologne en 1373 et défait un autre corps
de troupes que commandait lecomte de Vertus, fils de Galéas, assez
près de Crémone, le duc de Savoie sejoignit à lui pour
le siège de Plaisance qu’ils commencèrent ensemble, mais quele
seigneur de Coucy abandonna lorsque le duc de Savoie, attaqué d’une
violentemaladie, fut contraint de
l’abandonnerlui-même pour se faire transporter à Modène.
Enguerrand trouva à son retour sesterres et ses châteaux en
aussi bon état qu’il les avait laissés. Robert Knole,général
des troupes anglaises, qui en traversant la Picardie avait ravagé
toutle plat pays, avait défendu en même temps, par respect
pour le roi son maître,de faire le moindre dommage [au pays] qui appartînt
à ce seigneur; et sesordres furent fidèlement exécutés.
Peu de temps après, en 1375, il leva unearmée considérable
qu’il mena en Allemagne pour faire valoir ses droits sur lacouronne d’Autriche,
qu’il prétendait lui appartenir du chef de Catherine samère.
Après la mort de l’empereur Frédéric %III, les frères
puînés de cetempereur et leurs descendants mâles s’étaient
mis en possession de ce duché,parce que Léopold, leur aîné,
n’avait laissé qu’une fille, mère d’Enguerrand,et qu’une fille
ne leur paraissait pasdevoir
hériter à leur préjudice. Enguerrand, que cette raison
ne persuadaitpas, se regardait comme le seul et unique héritier de
cette grande succession, et représenta plusieurs fois son
droit àl’empereur de Bohême qui ne se pressa pas de lui faire
rendre justice. Il crutdevoir se la faire rendre lui-même. La France
et l’Angleterre étaient en trêvedepuis quelque temps; et le
roi qui craignait l’oisiveté des gens de guerre etsurtout des Bretons
qui commençaient à faire des courses et à causer dudésordre
dans le royaume, permit au seigneur de Coucy d’emmener avec lui autantde
troupes qu’il jugerait à propos pour son expédition et lui
donna encore,soit en pur don, soit par forme de prêt, 60 000 francs
pour l’aider dans cetteentreprise. Raoul de Coucy, son oncle, se joignit
à lui, avec le vicomte deMeaux, le baron de Roye, Pierre de Bar et
quantité de noblesse d’Artois, deHainaut et de Picardie; ce qui lui
fit un corps d’armée dont il semblait devoirtout se promettre. Les
Allemands et les Autrichiens trouvèrent le moyend’échapper
à cette armée sans coup férir. Ils brûlèrent
aux approchesd’Enguerrand trois journées de pays le long du Danube,
et se retirèrent ensuitedans les montagnes et dans des lieux où
il était impossible de les venirforcer. On était au cœur de
l’hiver. Il n’y avait dans la campagne ni vivrespour les chevaux ni pour
les hommes, et l’armée française y souffrit tellementqu’une
grande partie en mourut. Le roi, pour le consoler de cette disgrâce,
luitémoigna plus d’amitié que jamais. Sa famille, qui souffrait
de le voir sebannir lui-même si souvent de sa patrie, pour un sujet
qui devait même l’yretenir plus fortement attaché, gagna tant
sur son esprit qu’il se déterminaenfin à embrasser le parti
du roicontre les Anglais. Il
jura une fidélité entière à son prince, et les
preuvesqu’il lui en donna ne furent point équivoques. Il renvoya
en Angleterre laprincesse Isabeau, sa femme, et ne garda auprès de
lui que Marie, l’aînée deses filles, car il en avait encore
une autre, nommée Philippotte, qui n’étaitpoint sortie d’Angleterre
où elle avait été élevée et nourrie.
Celle-ci eut enpartage les biens qu’Enguerrand avait dans la province de
Lancastre, et elleles porta en mariage à Robert de Veer, duc d’Irlande,
comte d’Oxford, et GrandChambellan d’Angleterre, qui la répudia peu
de temps après son mariage, et duvivant même d’Enguerrand VII,
pour épouser une bohémienne, simple demoiselle dela reine.
Cependant les conférences pour la paix entre les deux couronnes deFrance
et d’Angleterre, commencées depuis longtemps, continuaient toujours,
etEnguerrand fit, cette année et la suivante, plusieurs voyages de
la part duroi, tant à Bruges qu’à Calais, ou à Boulogne,
au sujet de cette négociationqui ne réussit pas. La guerre
étant donc renouvelée, il alla premièrementjoindre
en Guyenne l’armée victorieuse du duc d’Anjou, après que ce
prince sefut rendu maître de la ville de Bergerac. Le roi de Navarre
ne donnant pasmoins d’inquiétude à la France que les Anglais,
Charles V l’envoya en 1378,avec le sieur de La Rivière, en Normandie
pour réduire toutes les places decette province qui obéissaient
au Navarrois. Enguerrand assiégea d’abord laville de Bayeux qui se
rendit. Il s’empara ensuite de Carentan, Moulineaux,Conches, Passy, et toutes
les places qu’il attaqua. Évreux et Cherbourgtenaient encore ferme;
il n’était pas aisé d’en venir à bout. Enguerrand serra
néanmoinsla première de si près qu’elle ouvrit enfin
ses portes; et elle fut reçue àcomposition. Cette campagne
fut très glorieuse pour le seigneur de Coucy, et cefut, selon toutes
les apparences, peu de temps après son retour qu’il instituaun ordre
de chevalerie, nommé de la Couronne, dont il est fait mention dansl’acte
de la fondation des Célestins de Soissons, mais dont on sait fort
peu dechoses d’ailleurs. Le premier sceau d’Enguerrand où l’on trouve
des couronnesest de l’an 1379. Il y avait des dames et des demoiselles de
l’ordre aussi bienque des écuyers et des chevaliers. Les princes
du sang, du moins ceux qui ontpossédé dans la suite la terre
de Coucy, n’ont pas cru qu’il fût au-dessousd’eux d’en être
les chefs; et l’on a un sceau de Charles, duc d’Orléans, neveudu
roi Charles VI, où ce prince est représenté à
cheval, armé de toutes pièceset portant sous le bras droit
l’ordre d’Enguerrand. Au reste, la couronne estrenversée dans le
sceau du duc d’Orléans comme dans ceux de tous les chevaliersde cet
ordre que l’on a vus. On ne sait si l’instituteur n’aurait pas eu en vuela
perte qu’il avait faite de la couronne d’Autriche. Le roi, qui ne cherchaitque
l’occasion de reconnaître ses services, n’attendit pas longtemps à
luidonner de nouvelles preuves de son amitié et de son estime. Le
connétable DuGuesclin mourut d’une maladie dont il fut attaqué
au siège de Randon. C’étaitune perte pour la France et il
s’agissait de la réparer. Le roi jeta les yeuxsur Enguerrand pour
remplir ce poste, le plus important alors de tous ceux oùétaient
attachés la fortune et le salut de la couronne. C’était, en
effet, laplus grande marque de distinction qu’il pouvait recevoir de la
main de sonprince. Mais il ne s’en laissa pas éblouir; il représenta
sa jeunesse et sonpeu d’expérience; surtout il insista sur les affaires
de Bretagne, et sur lenaturel des peuples de cette province dont il n’était
presque point connu. C’était là un point
capital dans laconjoncture présente des affaires. Le roi avait confisqué
depuis fort peu detemps la Bretagne sur le duc Jean de Montfort, et l’avait
réunie à ses autresétats. Il fallait donc, pour la
sûreté de ce nouveau domaine, un homme quiconnût parfaitement
les Bretons et qui en fût connu. Enguerrand ne voyait entretous les
sujets du roi qu’Olivier de Clisson qui eût, outre cette qualité,toutes
les autres que l’on avait admirées dans le connétable Du Guesclin.
Samodestie l’emporta à la fin sur la résolution que le roi
avait prise, etOlivier de Clisson, qui résista à son tour
comme Enguerrand avait fait, futquelque temps après obligé
de céder. Par une espèce de dédommagement, le roivoulut
qu’Enguerrand prît le gouvernement général de la Picardie;
et comme surla fin de la même année il se sentit proche de
sa fin, il le nomma avecplusieurs autres seigneurs pour servir de conseil
aux princes qui devaientgouverner le royaume pendant la minorité
de Charles VI, son fils. A peine leseigneur de Coucy eut-il le gouvernement
de la Picardie que les Anglais, quiméditaient une irruption en France,
descendirent à Calais, au mois de juillet,sous la conduite du comte
de Buckingham. Enguerrand ne se mit pas fort en peined’inquiéter
d’abord ce prince dans sa marche, parce que le roi avait mis toutecette
frontière en état de ne rien craindre. Il ne voulut même
pas engager aveclui aucune action importante. Mais comme il savait que le
dessein des Anglaisétait de traverser la France pour aller en Bretagne
joindre le duc Jean deMontfort, il rassembla toute la noblesse et les garnisons
d’Artois et dePicardie; et avec ce puissant secours il se mit aux trousses
de l’ennemijusques en Champagne, où il joignit le duc de Bourgogne.
Ce fut peu de tempsaprès, et pendant qu’il était toujours
à la poursuite des Anglais, que le roimourut au château de
Beauté-sur-Marne, le 26 septembre 1380. Cette mort changeala face
des affaires, et le duc d’Anjou, à qui le feu roi eût voulu
ne donneraucune part au gouvernement, se vit néanmoins à la
tête des affaires, et se fitdéclarer régent du royaume.
Ce prince donna en cette qualité, ou ne fitpeut-être que confirmer,
dès le 27 septembre suivant, la donation que Charles Vavait faite
à Enguerrand de la châtellenie de Mortagne-sur-l’Escaut, entreValenciennes
et Tournai, pour en jouir sa vie durant. Le 4 novembre de la mêmeannée,
le nouveau roi fut sacré et couronné à Reims. Enguerrand
assista, enqualité de haut-baron, à la cérémonie
du sacre, et partit aussitôt après pournégocier un accord
entre le roi et le duc de Bretagne. Ce duc avait envoyé des ambassadeursau
roi pour demander la paix; et le duc d’Anjou, qui avait ses vuesparticulières,
écouta volontiers les propositions qu’on lui en fit. L’affairene
traîna pas en longueur: Enguerrand signa le traité au nom du
roi, dès le 15janvier de l’année suivante. A son retour, le
peuple de Paris, soulevé àl’occasion des impôts, poussa
sa furie jusqu’aux derniers excès. Ceux quilevaient les droits du
roi furent massacrés, les portes des prisons rompues, laville remplie
de confusion et de désordre. Le roi était alors à Meaux
avec leduc régent et les autres princes ses oncles; et le remède
le plus prompt qu’ilspurent trouver à ce mal fut d’envoyer sur-le-champ
à Paris le seigneur deCoucy, pour apaiser le tumulte. Ce seigneur
avait naturellement de l’éloquence,et ce fut autant par ce noble
talent que par la force des armes qu’il avaitsoumis au roi, sous le règne
précédent, une partie des villes de Normandie quitenaient
pour le roi de Navarre. Ce même talent lui concilia encore les espritsdes
Parisiens révoltés; et il les amena jusqu’au point de promettre
au roitoutes les semaines pendant un certain temps, au lieu de taxes et
d’impôts, 10000 francs qui seraient employés à payer
les gens de guerre.
ers
ce même temps, le seigneur deCoucy prit une seconde alliance avec
Isabeau, fille de Jean Ier, duc deLorraine, et de Sophie de Wirtemberg, laquelle
lui apporta en dot la seigneurie de Fleurines au pays de Liège,avec
quelque somme d’argent. Il eut de ce mariage une fille unique, nomméeIsabeau,
comme sa mère, qui épousa à Soissons en 1409 Philippe,
comte de Neverset de Retel, fils puîné de Philippe le Hardi,
duc de Bourgogne.
e
roi, ayant pris la défense de Louisde Masle, comte de Flandres contre
ses sujets rebelles, marcha en 1382 à sonsecours avec une puissante
armée. Enguerrand, qui était de toutes les grandesexpéditions,
ne manqua pas de se trouver à celle-ci. Cette campagne finie à
lagloire du roi et du comte, il fallut recommencer l’année suivante
à porter laguerre du même côté, tant contre les
mêmes rebelles qui avaient repris lesarmes que contre les Anglais
qui étaient venus à leur secours. Enguerrand, quiétait
revenu à Paris avec le roi, et qui y avait été un des
principauxministres de la vengeance de ce prince justement irrité
contre cette villefactieuse, retourna aussi avec lui en Flandre, et eut
part aux nouvellesconquêtes de cette année qui ne furent pas
moins glorieuses à la nation quel’avaient [été] celles
de l’année précédente. Pendant que le roi était
ainsioccupé à dompter l’humeur intraitable des Flamands, le
duc d’Anjou, qui avaitété adopté dès le mois
de juin 1380 par la reine Jeanne de Naples, était passéen
Italie pour conquérir ce royaume dont Charles de Duras s’était
emparé; etEnguerrand, que le service du roi ne retenait plus en France,
courut en 1384, àla tête de quinze mille hommes de troupes
choisies, pour grossir l’armée de ceduc. Il attaqua dans sa route
la ville d’Arezzo, et la prit après une forterésistance. La
nuit même qui suivit cette prise, on lui annonça la mort du
ducd’Anjou. Cette nouvelle qu’il ne voulut pas croire n’était que
trop certaine:il lui restait, pour s’assurer cette première conquête,
de se rendre maître dela citadelle, et il la serra de tout près.
Peu de temps après, il n’eut plus lieude douter que le bruit de la
mort du prince ne fût véritable, et après avoirfait
un traité avec les Florentins, à qui il abandonna la ville,
il revint enFrance.
e
roi, qui ne pouvait se lasser de lecombler de bienfaits, lui avait permis,
peu de jours avant son départ,d’acheter la châtellenie de Beaurin
pour en jouir sa vie durant; il le revêtitencore vers le même
temps de la charge de Grand bouteiller de France que lamort du comte de
Sarbruk avait laissée vacante; et quelque temps après, il
luicommit la garde et la défense des frontières du royaume
vers l’Auvergne et leLimousin et entre la Dordogne et la mer. Les Anglais
inquiétaient toujours lamonarchie. Le malheur était que la
France même servait de théâtre à l’animositédes
deux nations; et il n’était pas possible qu’avec cet inconvénient
sespropres avantages ne lui coûtassent pas trop cher. Il fut donc
réglé dans leConseil en 1385 que l’on ferait un effort pour
aller porter la guerre jusquedans le sein même de l’Angleterre; et
le seigneur de Coucy fut marqué, avec leconnétable et le maréchal
de Sancerre, pour commander l’armée que l’ondestinait à cette
expédition. En 1386, pendant que l’armement naval duconnétable
se préparait, le roi parut se disposer à passer la mer pour
cevoyage; le seigneur de Coucy était à sa suite. L’année
suivante il se rendit àHarfleur, où il s’arrangeait pour son
départ, lorsque le duc de Bretagne, quiavait intérêt
à rompre toutes les mesures que la France prenait de ce côté-là,se
saisit en trahison de la personne du connétable. Une action de cette
natureétait capable de lui attirer bien des affaires. Le roi fut
aussi vivement piquéde cet affront que si l’attentat eût été
commis en sa propre personne. Le duc,qui avait eu le temps de se repentir
de ce qu’il avait fait, relâcha peu dejours après son prisonnier;
mais il fallait une satisfaction au roi. Ce prince,néanmoins, qui
s’était laissé ralentir sur ce sujet ne se hâtait pas
del’exiger. Enguerrand pressa, sollicita, et n’eut point de repos que la
résolutionn’en fût prise au Conseil. Outre qu’il avait à
cœur l’offense faite à lamajesté
royale, le connétable et luiétaient amis jusqu’à
se traiter de frères. Il fut donc député lui-même
pourobtenir cette satisfaction et il y réussit, du moins en partie.
Un autre pointd’honneur, mais d’une autre nature, obligea l’année
suivante le seigneur deCoucy de prendre la route d’Allemagne, à la
tête de quelques troupes.Guillaume, duc de Gueldres, avait eu la hardiesse
de défier le roi, et de luienvoyer un héraut pour lui déclarer
la guerre.
ne
partie du Conseil envisagea cettedéclaration comme une pure fanfaronnade
et fut d’avis de la mépriser.Enguerrand insista et crut qu’il y allait
de l’honneur du roi d’abattretellement l’orgueil de ce petit souverain que
son châtiment pût servird’exemple à l’avenir, et qu’il
ne prît plus envie à ses pareils de l’imiter. Leroi pencha
de ce côté, et voulut marcher lui-même à la tête
de son armée. Enguerrandfut envoyé à Châlons-sur-Marne
pour disposer une partie des préparatifs decette campagne; mais la
peur du duc épargna le sang de ses sujets. Le roi nefut pas plutôt
entré dans son pays qu’il vint faire des soumissions, et qu’ilobtint
sa grâce.
nguerrand,
qui conduisaitl’avant-garde de l’armée, avait eu ordre du roi, lorsqu’on
fut arrivé auxArdennes, d’aller en Avignon vers le pape Clément,
sans qu’on sache quel ait puêtre le sujet de sa commission. Mais à
peine eut-il terminé cette négociationsecrète, qu’il
revint joindre l’armée dans sa marche. A la fin de cettecampagne,
lorsque le roi fut de retour à Paris, il obtint au mois de novembrepour
sa ville de Coucy le privilège de deux foires par an. Cette ville
avaitextrêmement souffert depuis quelque temps. Trois incendies de
suite l’avaientpresque réduite en cendres; la mortalité avait
rendu la campagne voisine toutedéserte; enfin les guerres continuelles
avaient épuisé le peu qui y restaitd’habitants. Cette grâce
que le roi leur accorda ne contribua pas peu à lesdédommager
de leurs pertes; et insensiblement la ville et les environs serelevèrent
de leurs ruines.
’année
suivante le roi, après avoirconclu une trêve de trois ans avec
l’Angleterre, voulut visiter une partie deson royaume et commença
par Avignon. Enguerrand fut du voyage et trouva danscette ville la reine
de Naples et de Sicile, veuve du duc d’Anjou, qui le priad’accompagner le
jeune roi, son fils, qui venait d’être sacré, jusques enEspagne
où il allait pour épouser une des filles de Jean Ier, roi
d’Aragon; àquoi il se prêta volontiers. Il ne fut pas plutôt
de retour qu’il fut nommépour marcher à la suite du duc de
Bourbon au secours des Génois contre lesmahométans d’Afrique;
expédition qui, selon le témoignage d’un auteurcontemporain,
quoique assez heureuse, l’eût été encore bien davantage
si leseigneur de Coucy avait eu le commandement général de
l’armée. Ce fut lui quiopina pour la levée du siège
de Carthage, et son avis fut suivi. Les deuxcouronnes de France et d’Angleterre
songeaient toujours à conclure un traité depaix qui pût
être ferme et durable. Les ducs de Lancastre et d’York vinrentpour
cet effet à la mi-carême, l’an 1392, jusques à Amiens,
où toute la cour deFrance se rendit. Ils amenaient avec eux la princesse
Philippotte, leur nièce,fille du seigneur de Coucy, qui eut la consolation
d’embrasser son père qu’ellen’avait vu depuis fort longtemps. Mais
cette paix, tant désirée de part etd’autre, n’aboutit qu’à
une prolongation de trêve qui devait durer jusqu’à laSaint-Michel
de l’année suivante. Le roi, pour profiter du relâche que cettetrêve
lui donnait, pensa à tirer raison du duc de Bretagne dont il avait
reçudepuis peu plus d’un sujet de mécontentement; et ce fut
en cette occasion qu’iltomba pour la première fois dans cette espèce
de frénésie qui eut des suites sifunestes pour tout le royaume.
Une des premières suites de cette fâcheusemaladie fut la disgrâce
du connétable de Clisson, dont les ducs de Berry et deBourgogne,
maîtres absolus du gouvernement, poursuivirent à toutes forces
ladéposition. Cette charge fut aussitôt offerte pour la seconde
fois au seigneurde Coucy, qui ne voulut pas l’accepter non plus que la première;
et sur sonrefus, les princes en revêtirent Philippe d’Artois, comte
d’Eu, prince du sang.Les princes qui gouvernaient sous le nom du roi le
députèrent, en 1393, à lacour de Savoie, pour pacifier
les différends qui s’y étaient élevés au sujet
dela régence et de l’administration de l’état pendant la minorité
du jeune comteAmédée VIII; et en 1395, il se rendit encore
à Gênes pour ménager les intérêtsdu duc
d’Orléans sur la résolution que les peuples de cette république
avaientprise de se donner au roi ou à quelqu’un des princes de son
sang. Ce fut versle même temps qu’il prit possession de la ville de
Savone au nom de ce prince,et que, celle d’Asti, qui lui avait été apportée
en mariage par Valentine de Milan, s’étant révoltée
en partie,il lui rendit le calme et la tranquillité. Mais Enguerrand,
né pour combattretous les ennemis de la France et du nom chrétien,
ne s’était point encoresignalé contre les Turcs. Cette gloire
lui manquait uniquement pour couronnerune longue suite d’actions héroïques
dont le récit seul fera toujours le plusbel éloge. Il en trouva
enfin l’occasion sur la fin de ses jours, et il lasaisit avec ardeur. Philippe
le Hardy, duc de Bourgogne, envoyait le jeunecomte de Nevers, son fils,
à la tête d’une armée, contre Bajazet, à la prièrede
Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, et il crut ne pouvoir mieux confierce
jeune prince qu’entre les mains du seigneur de Coucy. Enguerrand ne balançapas
beaucoup sur l’honneur que le duc de Bourgogne lui faisait. Cependant lezèle
dont il se sentit animé le détermina encore plus à
ne point reculer. Ilpartit donc au mois de mars de l’an 1396, avec toute
l’armée composée de prèsde deux mille gentilshommes,
suivis presque tous de l’élite de leurs vassaux,et visita en passant
Galéas, seigneur de Milan, qui remuait contre les intérêtsde
la France, pour le sommer de demeurer tranquille et de s’en tenir à
sesanciennes alliances. Mais après la prise de quelques places, qui
furentemportées en commun par les deux armées de France et
de Hongrie qui s’étaientjointes, et une action assez considérable
où le seigneur de Coucy tailla enpièces quinze mille ou vingt
mille Turcs, toutes les espérances des chrétienss’évanouirent
au siège de Nicopoli qu’ils avaient formé. Bajazet vint fondresur
eux, et il ne resta de ces deux armées, ou plutôt de l’armée
française, carcelle de Hongrie prit la fuite, que les principaux
chefs qui furent à la fincontraints de se rendre prisonniers et que
Bajazet semblait réserver aux pluscruels supplices. Enguerrand qui
avait appuyé l’avis du roi (et ce fut pouravoir méprisé
cet avis que la victoire demeura aux infidèles) fut du nombre deces
derniers, et fut emmené à Bourse en Bithynie avec le comte
de Nevers etquelques autres seigneurs. Mais le chagrin qu’il conçut
de sa défaite et de saprison l’affaiblirent tellement qu’il en mourut
le 18 février de l’annéesuivante. Avant que de mourir il avait
ordonné, par son testament, que soncorps serait emporté en
France pour être inhumé dans le monastère des Célestinsqu’il
avait fondé en 1390, près de Soissons. On n’y transporta que
son cœur, etle reste de sa dépouille fut enterré au lieu même
où il avait fini ses jours.La comtesse de Soissons, sa femme, ne
put, malgré tout son empressement, payerassez tôt la rançon
que les Turcs exigeaient pour la délivrance de son mari.Deux ans
après, elle tâcha de réparer cette perte par une
seconde alliance qu’elle contracta avecÉtienne de Bavière,
père de la reine Isabeau, épouse de Charles %VI. Enguerrandlaissa
de grands biens en France. Lorsqu’il mourut, il possédait le comté
deSoissons et les terres de Coucy, Marle, La Fère, Origny, Ham qu’il
avait achetédu vivant de sa première femme, Pinon, ancien
domaine des seigneurs de Coucyqui était rentré dans ses mains,
et Mont-Cornet en Thiérache; sans parler duvinage de Laon, d’une
maison à Paris et d’une rente de 1 800 livres sur leTrésor
royal. Marie, l’aînée de ses filles, avait épousé
en 1389 Henry de Bar,[fils de Robert de Bar] et de Marie, sœur du roi Charles
V, à qui elle avaitapporté en dot la terre d’Oisy; et perdit
même son mari à la bataille deNicopoli où Enguerrand
avait été fait prisonnier. Elle se porta d’abord pourhéritière
de toutes ses terres, et s’en mit en possession. Mais Isabeau, sacadette,
demanda partage et lui intenta un procès. Louis, duc d’Orléans,
nenégligea rien pour l’engager à lui vendre la baronnie de
Coucy qui étaitdevenue une des plus belles et des plus puissantes
du royaume. Cent cinquante,tant villes que bourgs ou villages en dépendaient,
outre les châteaux, lesforts et les étangs qui en faisaient
partie. Marie se défendit longtemps; etses amis lui conseillèrent,
pour se mettre à couvert des poursuites du ducd’Orléans, d’épouser
le père de la reine, qui était veuf et qui reprit bientôtalliance
avec la veuve même d’Enguerrand. Le duc d’Orléans la menaça
de soncôté de marier Isabeau de Coucy, sa Cadette, à
un de ses propres fils, etajouta que, par ce moyen, elle se verrait non
seulement contrainte de relâcherune moitié entière de
la succession, mais qu’on l’empêcherait bien encore dejouir de l’autre.
Enfin, à force de menaces et de poursuites, il obtint cequ’il demandait.
La baronnie de Coucy, c’est-à-dire Coucy, Folembray,Saint-Aubin,
La Fère, Saint-Gobain, Le Chastellier, Saint-Lambert, Marle, Acyet
Gercy lui furent vendus pour le prix de 400 000 livres, par contrat passé
le15 novembre 1400, somme alors extrêmement considérable puisque
peu de tempsauparavant le même duc d’Orléans, n’étant
encore que duc de Touraine, n’avaitacheté le comté de Blois
que 200 000 francs. Marie ne vécut pas longtemps aprèscette
vente; elle ne toucha qu’une partie de son argent, et mourut cinq ans ouenviron
après, en 1405, avec quelque soupçon de poison. Le procès
qu’Isabeau,sa sœur, lui avait intenté continuait toujours, et était
défendu de l’autrepart, quoique avec des vues différentes,
par le duc d’Orléans et par Robert deBar, fils de Marie de Coucy.
L’arrêt qui intervint à ce sujet est du 11 août1408.
Il adjugea à Isabeau la moitié de Coucy, de Marle, de La Fère
etd’Origny, le quart de Mont-Cornet et de Pinon, et la cinquième
partie de Ham.Cette moitié de Coucy consistait apparemment en 200
000 francs qui restaient àpayer de la vente et que le duc d’Orléans,
qui demeura seul et uniquepossesseur de ce domaine, fut condamné
à remettre, non entre les mains deRobert de Bar, mais en celles d’Isabeau.
Isabeau mourut trois ans après et nelaissa qu’une fille nommée
Marguerite de Nevers qui mourut six mois après samère, en
sorte que la succession d’Enguerrand, c’est-à-dire la portion que
leduc d’Orléans n’avait point achetée, revint tout entière
à Robert de Bar. Decelui-ci elle passa dans la maison de Luxembourg,
et ensuite dans celle deBourbon, et fut enfin réunie au domaine de
la couronne lorsque Henri IV montasur le trône. Ainsi tous les biens
de la maison de Coucy retournèrent au roi àdeux diverses reprises:
premièrement lorsque le duc d’Orléans succéda à
CharlesVIII, sous le nom de Louis XII, et alors le domaine fut augmenté
de tout ce queMarie de Coucy avait vendu au duc d’Orléans; secondement
lorsque Henri IVsuccéda à Henri III; et alors le domaine fut
encore accru non seulement dureste de la succession d’Enguerrand %VII, mais
encore de toute celled’Enguerrand, vicomte de Meaux, troisième fils
d’Enguerrand %V. Depuis cetemps, la terre de Coucy n’a plus été
démembrée de la couronne; elle a seulement
fait quelquefois partie desapanages de nos princes. C’est sous ce titre
qu’elle a appartenu autrefois àClaude de France, fille de Louis XII,
ensuite à François de Valois, fils deCharles, bâtard
de Charles IX et de Marie Touchet, enfin à Philippe de France,duc
d’Orléans, frère unique de Louis XIV, dont le petit-fils Louis
d’Orléans,premier prince du sang, en était, dans ce temps,
en possession. On n’a pointparlé de quelques naissances illustres
dont la ville de Coucy a été honorée:une fille de Louis
%Ier, duc d’Orléans, tenue sur les fonts du baptême par leduc
de Gueldres, y naquit en 1401; et César, duc de Vendôme, bâtard
d’Henri %IVet de Gabrielle d’Estrées, en 1594. Le duc d’Orléans
avait fait ériger pour luiet ses descendants mâles à
perpétuité, dès l’an 1405, la terre de Coucy enpairie
par le roi Charles VI, son frère. Mais après qu’il eut été
assassiné parle duc de Bourgogne, Charles duc d’Orléans, son
fils, contre qui le roi s’étaituni avec le meurtrier, ne la garda
pas longtemps. Valeran de Luxembourg, comtede Saint-Paul, vint l’assiéger
au nom du roi en 1411, et Enguerrand deFontaines, qui commandait dans la
ville pour le duc d’Orléans, se renditsur-le-champ sans coup férir.
Le comte de Saint-Paul n’eut pas à beaucoup prèssi bon marché
de Robert d’Esne, gouverneur du château. Celui-ci, sommé de
serendre, répondit qu’il avait juré fidélité
au duc d’Orléans, son maître, etque, sans un ordre exprès
de sa part, il se défendrait jusqu’à l’extrémité.
Laplace était abondamment pourvue de munitions et de vivres. Plusieursgentilshommes
de cœur s’y étaient jetés, dans la résolution d’y périr
auservice de leur prince. Le gouverneur espérait de pouvoir tenir
assez longtempspour voir le duc d’Orléans reprendre le dessus dans
l’esprit du roi! Le comtede Saint-Paul l’attaqua dans les formes, et fit
attacher le mineur à la portede la Basse Cour que l’on nommait alors
la porte de Maître Odon. C’était, à cequ’on prétend,
un des plus forts édifices qui fussent
à vingt lieues à la ronde. La mine joua et eut son effet;
maisles assiégeants n’en furent guère plus avancés,
parce que le mur qui était ducôté des assiégés
demeura dans son entier. Après une résistance d’environ troismois
il fallut capituler. On donna au gouverneur 1 200 écus ou environ
pour sesfrais, et cette prise valut au comte de Saint-Paul l’épée
de connétable deFrance que le roi ôta à Charles d’Albret
pour l’en gratifier. Gérardd’Herbannes fut établi gouverneur
de Coucy à la place de Robert d’Esne qui seretira avec sa garnison,
partie à Crève-Coeur, et partie au Cateau-Cambrésis.
eux
ans après, c’est-à-dire en 1413,après le traité
de paix apparent qui fut conclu entre les deux maisonsd’Orléans et
de Bourgogne, Coucy fut rendu au duc d’Orléans, mais en 1419, aumois
de février, un ou deux domestiques de Pierre de Saintrailles, qui
ycommandait pour le prince, ayant traité en secret avec quelques
prisonniersbourguignons, poussèrent la trahison jusqu’à assassiner
leur maître; et laplace rentra sous la puissance du duc de Bourgogne.
Le célèbre La Hire, quiétait dans la ville avec quantité
de bons soldats, courut à l’alarme et fittous ses efforts pour reprendre
le château, mais, n’ayant pu réussir, il fitpasser au fil de
l’épée soixante prisonniers qui se trouvèrent dans
les prisonsde la ville, et se retira vers Guise. Le duc de Bourgogne ne
jouit paslongtemps de cette conquête. Il fut assassiné la même
année, et, aussitôtaprès, le même La Hire et Pothon
de Saintrailles reprirent pour le ducd’Orléans quelques places en
Picardie, du nombre desquelles fut Coucy.Cependant cette place, qui dans
ces temps de désordre
et de confusion semblait être destinée à suivre alternativementla
fortune des deux partis, passa encore en 1423 entre les mains desBourguignons.
Ce fut le comte de Suffolk qui l’assiégea à la tête
de sesAnglais et qui s’en rendit maître après quelques jours
de siège. Charles VII,qui venait de succéder au roi son père,
eut enfin le bonheur, après plusieurspertes considérables,
de chasser les Anglais de ses états, et de réunir même
laGuyenne à la couronne. Mais l’histoire ne marque pas de quelle
manière, ni enquel temps, la ville de Coucy se rangea sous son obéissance.
On sait qu’il enfut maître pendant quelque temps, puisqu’il y établit
un grenier à sel; qu’illa reperdit ensuite, et que vers l’an 1441
elle repassa encore sous sadomination. En 1487, sous le règne de
Charles VIII, pendant que le ducd’Orléans, mécontent de la
cour, était retiré dans les états du duc deBretagne,
Pierre d’Urfé, grand écuyer de France, s’empara de cette place
aprèshuit jours de siège, et cette prise ne fut pas le coup
le moins important decette campagne, parce qu’on appréhendait que
le gouverneur n’y reçût destroupes de l’archiduc d’Autriche,
qui eussent extrêmement incommodé leVermandois, et que d’ailleurs
le duc d’Orléans ne pouvait manquer d’ensouffrir. En 1652, la ville
de Coucy se ressentit plus qu’aucune autre destroubles domestiques et de
la guerre civile que le ministère du cardinalMazarin et le mécontentement
des princes avaient excités dans tout le royaume.Le commandant de
cette place, nommé Hébert, était devenu suspect au
cardinalqui l’envoya sommer, dès le commencement du mois de mai,
de la remettre entreles mains du maréchal d’Estrées, gouverneur
de Laon. Hébert répondit qu’il latenait immédiatement
du roi Louis XIII pour récompense de ses services; que,l’ayant toujours
gardée fidèlement, il ne croyait pas que Sa Majesté
l’envoulût dépouiller; qu’à moins qu’il ne vit des
ordres plus exprès, il était résolu de s’y maintenir;
qu’enfin il nes’y passerait rien sous ses ordres contre l’obéissance
due à Sa Majesté. Sur cerefus, le maréchal fit d’abord
avancer quelques troupes pour investir la place,et le sieur de Manicamp,
gouverneur de La Fère, s’étant joint à lui avec sixpièces
de canon tirées de La Fère et de Péronne, ils en formèrent
conjointementle siège le 10 du même mois. La batterie fut dressée
contre les murailles de laville; il y eut bientôt une brèche
considérable. Malgré cet avantage, cinqjours entiers se passèrent
sans que les assiégeants puissent entrer dans laville, retenus par
la fière contenance des assiégés qui paraissaient résolus
àtout plutôt que de lâcher pied. Ils se retirèrent
à la fin dans le château,avec leurs meilleurs effets, et les
troupes du roi se répandirent dans laville. Pour assurer cette conquête,
il fallait se rendre maître du château. Cen’était pas
l’affaire d’un jour, et les affaires changèrent bientôt de
face. L’avant-gardedes troupes lorraines, qui avaient leurs quartiers aux
environs de Reims et deSoissons, s’avança, dès le 22, au nombre
de huit cents chevaux et de mille deuxcents fantassins, à un quart
de lieue des assiégeants, et la cavalerie, ayantcommencé l’attaque
par le quartier où commandait Manicamp, elle défitentièrement
le régiment de Piémont et une bonne partie de celui qui avait
étécomposé tant des garnisons voisines que des nouvelles
levées faites pour cesiège. Ce premier échec épouvanta
les assiégeants qui prirent aussitôt la fuiteet se sauvèrent
en désordre dans la forêt prochaine. Ils abandonnèrent
ainsi laville aux Lorrains qui s’en rendirent maîtres le 28 du même
mois, et qui enconservèrent le commandement à Hébert.
Cependant, le 14 septembre suivant, laville et le château furent rendus
au roi. Le cardinal Mazarin envoya aussitôt,pour démolir la
place, un ingénieur nommé Metezeau (fils de celui qui fit
ladigue de La Rochelle), et qui, par des mines, en fit sauter les principales
pièces.Depuis ce temps-là, les ruines se sont considérablement
augmentées. Le derniertremblement de terre qui arriva en France,
le 18 septembre 1692, fendit du hauten bas la grosse tour. Les autres subsistent
dans leur entier, mais les voûtes,qui formaient plusieurs étages
d’appartements, se sont écroulées pour laplupart. Ce château
célèbre, qui était il y a cent ans une des merveilles
de laFrance et peut-être la place du royaume la plus imprenable, n’est
plus qu’untriste monument de la magnificence de ses anciens seigneurs.